Page:Revue de Paris, 7è année, Tome 3, Mai-Juin 1900.djvu/729

Cette page a été validée par deux contributeurs.
725
LE FEU

seconde s’est vue chaque matin vieillir, a compté ses rides une à une, a ramassé dans son peigne ses cheveux morts, a senti ses dents vaciller dans ses gencives pâles ; et elle a voulu réparer par les artifices le dommage irréparable. Pauvre âme tendre qui voudrait vivre encore charmante et souriante ! Mais il faut disparaître, mourir, s’abîmer sous terre ! » Elle aperçut le petit bouquet de violettes que lady Myrta portait épinglé au bas de sa jupe. En toute saison, il y avait là, dans un pli, une fleur fraîche, à peine visible, comme le signe de la quotidienne illusion printanière, de l’enchantement toujours nouveau qu’elle se donnait à elle-même par le souvenir, par la musique, par la poésie, par tous les arts du rêve, contre la vieillesse, contre l’infirmité, contre la solitude. « Il faut vivre une suprême heure de flamme et puis disparaître à jamais sous terre, avant que tout charme soit évanoui, avant que toute grâce soit morte. »

Elle sentit la beauté de ses propres yeux, la voracité de ses lèvres, la force rude de ses cheveux pliés par la tempête, toute la puissance des rythmes qui sommeillaient dans ses muscles et dans ses os. Elle réentendit les paroles de son ami, celles qui l’avaient louée ; elle le revit dans la fureur du désir, dans la douceur de l’alanguissement, dans l’oubli le plus profond. « Quelques jours encore, quelques jours encore je lui plairai, je lui brûlerai le sang. Quelques jours encore ! » Les pieds dans l’herbe, le front au soleil, parmi l’odeur des roses qui se fanaient, dans cette robe fauve qui la faisait pareille au magnifique animal de proie et de course, elle se consumait de passion et d’attente, avec une soudaine effervescence de vie, comme si dans le présent eût reflué cet avenir auquel elle renonçait par une volonté de mort. « Viens ! Viens ! » En elle-même, elle appelait l’aimé, avec une sorte d’ivresse, sûre qu’il allait venir, puisqu’elle le pressentait, et que jamais son pressentiment ne l’avait trompée. « Quelques jours encore ! » Chaque minute passée lui paraissait une spoliation inique. Immobile, elle désirait et souffrait vertigineusement. Au battement de son pouls, vibrait tout le jardin sauvage, pénétré de chaleur jusque dans les racines. Elle crut qu’elle allait perdre connaissance et se laisser choir.