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LE FEU

funèbre, à des poêles vieillis sur le chemin du cimetière. D’un palais déchu, converti en fabrique de cordages, une suffocante odeur de chanvre sortait par les barreaux de fer qu’obstruait un duvet grisâtre, semblable à un enchevêtrement de toiles d’araignées. Là, au fond du Campiello della Comare, herbeux comme l’enclos consacré d’une paroisse champêtre, s’ouvrait la grille du jardin, entre deux pilastres que couronnaient des statues mutilées où les rameaux du lierre, desséchés sur leurs membres, offraient l’image de veines en relief. Rien ne paraissait au visiteur plus doux et plus triste. Autour du Campiello, les cheminées des humbles maisons fumaient en paix vers la coupole verte. De temps à autre, un vol de pigeons, quittant les sculptures des Scalzi, traversait le canal ; on entendait le sifflet d’un train passant sur le pont de la lagune, la cantilène d’un cordier, le bourdonnement de l’orgue, la psalmodie des prêtres. L’été des morts trompait la mélancolie de l’amour.

— Hélion ! Sirius ! Altaïr ! Donovan ! Ali-Nour ! Nerissa ! Piuchebella !

Assise sur un banc contre le mur tapissé de rosiers, lady Myrta appelait ses chiens. La Foscarina était près d’elle, debout, dans un costume fauve qui rappelait cette fière étoffe appelée rouanne, en usage autrefois à Venise. Le soleil enveloppait les femmes et les roses dans une même tiédeur blonde.

— Vous êtes vêtue aujourd’hui comme Donovan, — dit lady Myrta à l’actrice, avec un sourire. — Savez-vous que Stelio préfère Donovan à tous les autres ?

La Foscarina se colora de rougeur. Elle chercha des yeux le lévrier fauve.

— C’est le plus beau et le plus fort, dit-elle.

— Je crois qu’il le désire, — ajouta la vieille dame avec une indulgente douceur.

— Que ne désire-t-il pas ?

Lady Myrta remarqua la mélancolie qui voilait la voix de l’amante. Elle garda le silence quelques instants.

Les chiens étaient là, graves et tristes, pleins de somnolence et de rêves, loin des plaines, des steppes et des déserts, accroupis sur le pré de trèfle où serpentaient les courges avec leurs fruits creux, d’un vert jaune. Les arbres étaient immobiles, comme s’ils eussent été fondus dans le même bronze