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LA REVUE DE PARIS

d’autant plus atroce que s’incline davantage vers son mal la pitié ignorante de la pauvre créature… De quelle manière cet homme pourra-t-il être libéré ? Depuis le début de la tragédie, depuis le moment où sa compagne innocente commence à parler, celle-ci apparaît prédestinée à mourir. Et tout ce qui se dit et s’accomplit dans les épisodes, et tout ce qui s’exprime par la musique, par le chant et par la danse dans les intermèdes, tout sert à la conduire lentement et inexorablement vers la mort. Elle est l’égale d’Antigone. Dans cette brève heure tragique, elle passe accompagnée par la lueur de l’espérance et par l’ombre du pressentiment, accompagnée par des chants et par des pleurs, par le haut amour qui offre la joie, par l’amour furieux qui engendre le deuil ; et elle ne s’arrête que pour s’endormir sur l’eau froide et claire de la fontaine qui, sans interruption, l’appelle par son gémissement dans la solitude. À peine son frère l’a-t-il tuée, qu’il reçoit d’elle, à travers la mort, le don de sa rédemption. « Toute souillure, s’écrie-t-il, est effacée de mon âme ! Je suis devenu pur entièrement pur. Toute la sainteté de mon premier amour est rentrée dans mon âme comme un torrent de lumière… Si elle se levait, à présent, elle pourrait cheminer sur mon âme comme sur la neige immaculée… Si elle revivait, toutes mes pensées pour elle seraient comme les lis, comme les lis… À présent, elle est parfaite ; à présent, elle peut être adorée comme une créature divine… Je la coucherai dans le plus profond de mes tombeaux, et je mettrai autour d’elle tous mes trésors… » Ainsi, l’acte de mort auquel il a été entraîné par son délire lucide est un acte de purification et de libération, qui marque la défaite de l’antique Destin. Émergeant de la mer symphonique, l’ode chante la victoire de l’homme, éclaire d’une insolite lumière les ténèbres de la catastrophe, élève sur le sommet de la musique la première parole du drame renouvelé.

— Le geste de Persée ! — s’écria Daniele Glàuro, dans l’ivresse. — À la fin de la tragédie, tu tranches la tête de la Moire et tu la montres au peuple toujours jeune et toujours nouveau qui clôt le spectacle par de hautes acclamations.

Tous deux virent en rêve le théâtre de marbre sur le Janicule, la multitude dominée par cette idée de vérité et de beauté,