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LA REVUE DE PARIS

qu’il devait rencontrer sur son chemin pour arriver à cette maison lointaine qui, de temps à autre, comme dans la lueur d’un éclair, lui apparaissait animée par une attente profonde.

— C’est vrai, Daniele, ce que tu m’as communiqué un jour : la voix des choses est essentiellement différente de leur son, — dit-il en s’arrêtant à l’entrée de la Ruga Vecchia, près du campanile : car il s’était aperçu que la course fatiguait son ami. — Le son du vent imite tantôt les gémissements d’une multitude épouvantée, tantôt les hurlements des fauves, tantôt le fracas des cataractes, tantôt le frémissement des étendards déployés, tantôt le défi, tantôt la menace, tantôt le désespoir. La voix du vent est la synthèse de tous ces bruits ; c’est la voix qui chante et qui raconte le travail terrible du temps, la cruauté du sort humain, la guerre éternellement soutenue pour une illusion éternellement renaissante.

— Et as-tu jamais songé que l’essence de la musique n’est pas dans les sons ? — demanda le docteur mystique. — Elle est dans le silence qui les précède et dans le silence qui les suit. C’est dans ces intervalles de silence qu’apparaît et vit le rythme. Chaque son et chaque accord éveillent dans le silence qui les précède et qui les suit une voix que notre esprit seul peut entendre. Le rythme est le cœur de la musique ; mais ses battements ne sont perçus que pendant la pause des sons.

Cette loi de nature métaphysique, énoncée par le contemplateur, confirma pour Stelio la justesse de sa propre intuition.

— En effet, dit-il, imagine l’intervalle entre deux symphonies scéniques où tous les motifs concourraient à exprimer l’essence intérieure des caractères aux prises dans le drame, à révéler le fond intime de l’action : par exemple, dans le grand prélude beethovenien de Leonore ou dans celui de Coriolan. Ce silence musical où palpite le rythme est comme l’atmosphère vivante et mystérieuse dans laquelle seulement peut apparaître la parole de la poésie pure. Là, il semble que les personnages émergent de la mer symphonique comme de la vérité même de l’être caché qui opère en eux. Et, dans ce silence rythmique, leur langage parlé aura une résonance