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LA REVUE DE PARIS

abîmée dans un gouffre et que la voix fût restée en haut ; mais elle sentait les mains impatientes qui la tentaient. Et, dans cette obscurité sanglante qui ressemblait à celle d’où naissent les délires et les folies, tout à coup, de ses moelles, de ses veines, de toute sa chair troublée, surgit une révolte sauvage.

— Veux-tu que je te mène à elle ? Veux-tu que je l’appelle près de toi ? — s’écria la malheureuse, en lui ouvrant sur la face des yeux qui l’étonnèrent, en le prenant par les poignets et le secouant avec une force convulsive où l’on sentait les ongles. — Va ! va ! Elle t’attend. Pourquoi rester ici ? Va, cours ! Elle t’attend.

Elle se dressa, le releva, essaya de le pousser vers la porte. Elle n’était plus reconnaissable, transfigurée par la fureur en une créature menaçante et dangereuse. Incroyable était la vigueur de ses mains, l’énergie nocive qui se développait dans tous ses membres.

— Qui, qui m’attend ? Que dis-tu ? Qu’as-tu ? Reviens à toi ! Foscarina ! Foscarina !

Il balbutiait, l’appelait, tremblant d’épouvante parce qu’il croyait voir la figure de la folie se dessiner sur ce visage altéré.

Mais elle, en démence, ne l’entendait pas.

— Foscarina !

Il l’appela de toute son âme, blanc de terreur, comme s’il voulait arrêter par son cri la raison prête à partir.

Elle eut un grand sursaut ; elle ouvrit les mains ; elle promena autour d’elle des yeux égarés, comme si elle s’éveillait et ne se souvenait plus. Elle haletait.

— Viens, assieds-toi.

Il la reconduisit vers les coussins, l’y accommoda doucement. Elle se laissait radoucir par cette tendresse désolée. Elle semblait reprendre connaissance après un évanouissement et ne se souvenir plus de rien. Elle se plaignit.

— Pourquoi m’a-t-on battue ?

Elle palpa ses bras endoloris, toucha au nœud des mâchoires ses joues qui lui faisaient mal. Elle se mit à trembler de froid.

— Allonge-toi ; repose ta tête, ici…

Il la fit s’allonger, lui arrangea la tête, lui mit sur les pieds un coussin, tout doucement, penché sur elle comme sur une