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LE FEU

Elle s’arrêta un instant, suffoquée par son cœur trop plein, offensée par le souvenir comme par une honte nouvelle.

— …Et arriver à cette aube-là, et vous voir partir ainsi de ma maison, dans ce matin horrible !

Elle blêmit, perdit tout le sang de sa face.

— T’en souvient-il ?

— J’étais heureux, j’étais heureux ! — s’écria le jeune homme, d’une voix qui s’étranglait, bouleversé, lui aussi, tout pâle.

— Non, non… T’en souvient-il ? Tu te levas de mon lit comme du lit d’une courtisane, rassasié, après quelques heures de plaisir violent…

— Tu te trompes, tu te trompes !

— Avoue ! Dis la vérité ! La vérité seule peut nous sauver encore.

— J’étais heureux ; j’avais tout le cœur en joie ; je rêvais, j’espérais, je croyais renaître…

— Oui, oui, heureux de respirer, de te retrouver libre, de te sentir jeune encore dans le vent et dans le jour. Ah ! tu avais mêlé trop d’âcres choses à tes caresses, trop de poisons à ton plaisir. Que voyais-tu alors en celle qui tant de fois avait agonisé — oui, tu le sais bien, agonisé ! — plutôt que de violer le rêve qu’elle emportait avec elle dans sa course errante à travers le monde ? Dis : que voyais-tu, sinon la créature corrompue, la chair de volupté, le reste des amours inconnues, l’actrice vagabonde qui, dans son lit comme sur la scène, est à tous et n’est à personne…

— Foscarina ! Foscarina !

Il se jeta sur elle, lui ferma les lèvres avec sa main tremblante.

— Non, non, ne dis pas cela ! Tais-toi ! Tu es folle, tu es folle…

— C’est horrible ! — murmura-t-elle en tombant sur les coussins, rompue, exténuée par sa passion, submergée sous ce flot d’amertume qui avait jailli du plus profond de son âme.

Mais ses yeux restaient ouverts et dilatés, immobiles comme deux cristaux, durs comme s’ils n’avaient plus de cils, fixés sur lui. Ces yeux empêchaient Stelio de parler : de nier ou