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LE FEU

nant, il me semble que je ne pourrais plus vous séparer de mon sang, et que vous ne pourriez plus vous éloigner de moi, et que nous devons aller ensemble à la rencontre de je ne sais quelle aurore…

Il lui parlait à voix basse, avec une entière effusion, devenu comme une substance vibrante où semblaient s’imprimer toutes les transmutations de la créature nocturne. Ce qu’il voyait devant lui, ce n’était plus une forme corporelle, une chair opaque et impénétrable, la pesante prison humaine ; c’était une âme dévoilée par une succession d’apparences non moins expressives que des mélodies, une sensibilité infiniment délicate et puissante qui, dans cette enveloppe, créait tour à tour la ténuité des fleurs, la vigueur du marbre, l’éclat de la flamme, toutes les ombres et toutes les lumières.

— Stelio !

À peine le prononça-t-elle, ce nom ; et toutefois, dans ce souffle qui mourait sur ces lèvres blêmies, il y avait une immensité d’exultation et d’émerveillement, comme dans le cri le plus aigu. À l’accent viril, elle avait reconnu l’amour : l’amour, l’amour ! Elle qui tant de fois avait écouté les belles et parfaites paroles prononcées par cette voix limpide, et qui en avait étrangement souffert comme d’un supplice et d’un jeu, elle voyait maintenant sa vie et le monde se transfigurer tout à coup à cet accent nouveau. Son âme parut chavirer : ce qui l’encombrait tomba au fond, dans une obscurité sans limite ; et il vint à la surface quelque chose de libre et d’immaculé, qui se dilata, qui se courba comme un ciel matinal. Et, de la même façon que le flot de la lumière monte depuis l’horizon jusqu’au zénith avec une muette harmonie, l’illusion du bonheur monta jusqu’à sa bouche. Un sourire s’y prolongea, infini, où les lignes de ses lèvres tremblaient comme les feuilles dans la brise, où ses dents luisaient comme les jasmins dans la clarté stellaire.

« Tout est aboli, tout est évanoui. Je n’ai pas vécu, je n’ai pas aimé, je n’ai pas souffert. Je suis nouvelle. Je ne connais que cet amour. Je suis pure. Je veux mourir dans la volupté à laquelle tu m’initieras. Les années et les événements ont passé sur moi sans atteindre cette partie de mon âme que je te réservais, ce ciel secret qui vient de s’ouvrir à l’impro-