Page:Revue de Paris, 7è année, Tome 3, Mai-Juin 1900.djvu/260

Cette page a été validée par deux contributeurs.
256
LA REVUE DE PARIS

— Vous seule pouvez la faire triompher, — dit Francesco de Lizo. — L’âme de la foule vous est soumise à jamais.

— Le drame ne doit être qu’un rite ou un message, — déclara sentencieusement Daniele Glàuro. — Il faut que la représentation soit de nouveau rendue solennelle comme une cérémonie religieuse, puisqu’elle enferme les deux éléments constitutifs de tout culte : la personne vivante en qui, sur la scène comme devant l’autel, s’incarne le verbe d’un révélateur ; la présence de la multitude muette comme dans les temples…

— Bayreuth ! interrompit le prince Hoditz.

— Non ; le Janicule ! — s’écria Stelio, sortant tout à coup de son vertigineux silence. — Une colline romaine ! Ce qu’il faut, ce n’est pas le bois et la brique de la Haute-Franconie ; c’est un théâtre de marbre sur la colline romaine. Nous l’aurons.

La subite protestation du maître semblait venir d’un allègre dédain.

— Vous n’admirez pas l’œuvre de Wagner ? — lui demanda Donatella Arvale avec un léger froncement de sourcils qui, pendant une seconde, rendit presque dur son hermétique visage.

Il la regarda au fond des prunelles : il sentait qu’il y avait quelque chose d’obscurément hostile dans les manières de la vierge et il éprouvait lui-même contre elle une sourde inimitié. À ce moment encore il la vit isolée, vivant d’une vie propre et circonscrite, fixée dans une pensée très secrète, étrangère et inviolable.

— L’œuvre de Wagner, répondit-il, est fondée sur l’esprit germanique, est d’essence purement septentrionale. Sa réforme n’est pas sans analogie avec celle tentée par Luther. Son drame n’est que la fleur suprême du génie d’une race, l’abrégé extraordinairement puissant des aspirations qui travaillèrent l’âme des symphonistes et des poètes nationaux, depuis Bach jusqu’à Beethoven, depuis Wieland jusqu’à Gœthe. Si vous imaginiez son œuvre sur le rivage méditerranéen, parmi nos clairs oliviers, parmi nos lauriers sveltes, sous l’éclat glorieux du ciel latin, vous la verriez pâlir et se dissoudre. Puisque, selon sa parole même, il est donné à l’artiste de voir