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LA REVUE DE PARIS

aussi, j’ai, comme vous, non pas donné, mais reçu la joie. Donatella et le donateur, les voilà, ceux qu’il faut couronner. C’est à eux deux que revient toute la gloire.

— Mais, tantôt, dans la salle du Grand Conseil, — répondit le docteur mystique, — votre silencieuse présence auprès de la sphère céleste n’était pas moins éloquente que la parole de Stelio ni moins musicale que le chant d’Ariane. Une fois encore vous avez divinement sculpté dans le silence votre propre statue, non moins vivante en notre souvenir que la parole et que le chant.

Stelio, avec un frisson secret, revit le monstre éphémère et versatile au flanc duquel émergeait la muse tragique, la tête dressée dans l’orbe des constellations.

— C’est vrai, c’est vrai ! — s’écria Francesco de Lizo. — Moi aussi, j’ai eu cette pensée. Quand on vous regardait, on reconnaissait que vous étiez l’âme de ce monde idéal que chacun de nous se formait selon ses aspirations particulières, en écoutant la parole, le chant et la symphonie.

— Chacun de nous, — dit Fabio Molza, — sentait que, dans votre figure qui dominait la foule, en face du poète, il y avait une signification insolite et grande.

— On aurait cru que vous assistiez seule à la naissance mystérieuse d’une idée nouvelle, — dit Antimo della Bella. — Toutes les choses d’alentour semblaient s’animer pour la produire, cette idée qui nous sera bientôt révélée, en récompense de la foi profonde avec laquelle nous l’avons attendue.

L’animateur sentit au dedans de lui-même tressaillir l’œuvre qu’il nourrissait, informe encore, mais déjà viable ; et, par un mouvement brusque, toute son âme s’inclina, comme investie d’un souffle lyrique, vers la puissance fécondante et révélatrice qui émanait de la femme dionysiaque à laquelle s’adressait la louange de ces fervents esprits.

Tout d’un coup, elle était devenue très belle : créature nocturne façonnée par les passions et les rêves sur une enclume d’or, simulacre vivant des immortels destins et des énigmes éternelles. Bien qu’elle fût immobile, bien qu’elle se tût, ses accents fameux, ses gestes mémorables semblaient vivre autour d’elle et vibrer indéfiniment, comme les mélodies autour des cordes qui ont coutume de les répéter, comme les