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LE FEU

il vient d’atteindre sa parfaite floraison. Elle crut reconnaître un courant de secrète affinité qui reliait déjà cette créature au poète ; elle crut deviner les paroles qu’il lui adressait en silence. Une atroce angoisse la mordit en pleine poitrine, si intolérable que, par un geste involontaire, ses doigts s’accrochèrent convulsivement à la corde noire de l’appui-bras : on entendit grincer le petit griffon de métal qui la supportait.

Ce geste ne put échapper à la vigilance inquiète de Stelio. Il vit cette angoisse et, pendant quelques instants, il en éprouva lui-même la poignante morsure, mais avec un mélange d’impatience et presque de courroux : car cela traversait et interrompait comme un cri destructeur une fiction de vie transcendante qu’il était occupé à construire en lui-même pour concilier l’inconciliable, pour conquérir cette force nouvelle qui se présentait à lui comme un arc à tendre, et ne pas perdre cependant la saveur de cette maturité que la vie avait imprégnée de toutes ses essences, le bénéfice de cette attention et de cette foi passionnées qui aiguisaient son intelligence et alimentaient son orgueil.

« Ah ! Perdita, pensait-il, pourquoi, du ferment de vos amours humaines, ne s’est-il pas dégagé un pur esprit d’amour plus qu’humain ? Ah ! pourquoi ai-je voulu finalement vous vaincre par mon désir, bien que je sache qu’il est trop tard ? et pourquoi permettez-vous que je lise dans vos yeux la certitude de votre don prochain, parmi un flot de doutes qui n’auront plus le pouvoir de rétablir le pacte aboli ? Comprenant l’un et l’autre que ce pacte faisait toute la noblesse de notre longue communion, nous n’avons pas su le préserver ; et, à la dernière heure, nous céderons aveuglément à l’appel d’une trouble voix nocturne. Tantôt, lorsque votre tête se dressait dans l’orbe des constellations, ce que je voyais en vous, ce n’était plus l’amante charnelle, c’était la muse divulgatrice de ma poésie ; et toute la gratitude de mon âme est allée à vous, non pour la promesse du plaisir, mais pour la promesse de la gloire. Ne l’avez-vous pas compris, vous qui comprenez toujours ? Par une invention merveilleuse, comme toujours, n’avez-vous pas, d’un rayon de votre sourire, conduit mon désir vers une resplendissante jeunesse que vous aviez choisie et réservée pour moi ? Quand vous