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LA REVUE DE PARIS

de la mobilité qu’avaient ses traits, de la vertu mimique étrange que possédaient les muscles de sa face, et de cet art involontaire qui réglait la signification de tous ses gestes, et de cette ombre expressive que, tant de fois, au théâtre, dans une minute de silence anxieux, elle avait su étendre sur sa face comme un voile de douleur, et aussi de cette ombre dont s’emplissaient maintenant les sillons creusés par l’âge dans sa chair qui n’était plus jeune. Elle souffrait cruellement par cette main qu’elle adorait, par cette main si délicate et si noble qui, même avec un don ou avec une caresse, pouvait lui faire tant de mal.

— Ne croyez-vous pas, Perdita, — reprit Stelio après une pause, en s’abandonnant au cours lucide et tortueux de sa pensée qui, telle un fleuve dont les méandres forment, enserrent et nourrissent les îles dans la vallée, laissait isolés dans son esprit d’obscurs espaces où il savait bien qu’à l’heure opportune il trouverait quelque richesse nouvelle, — ne croyez-vous pas à l’occulte bienfaisance des signes ? Je ne parle ni de science astrale ni de signes horoscopiques. Ce que je veux dire, c’est que, à la façon de ceux qui croient subir l’influence d’une planète, nous pouvons créer une idéale correspondance entre notre âme et un objet terrestre, de telle sorte que cet objet, s’imprégnant peu à peu de notre essence et magnifié par notre illusion, devienne à la fin pour nous le symbole représentatif de nos destinées inconnues et revête un aspect de mystère quand il nous apparaît en certaines conjonctures de notre vie. Voilà le secret pour rendre une partie de sa fraîcheur primitive à notre âme un peu desséchée. Je connais par expérience l’effet bienfaisant que nous procure l’intense communion avec une chose terrestre. Il faut que, de temps à autre, notre âme se fasse pareille à l’hamadryade, pour sentir circuler en elle la fraîche énergie de l’arbre auquel sa vie est unie… Vous avez déjà compris que je fais allusion aux paroles prononcées par vous tout à l’heure, quand passait la barque. Ces mêmes pensées, vous les avez exprimées avec une brièveté obscure, lorsque vous avez dit : « Regardez vos grenades ! » Pour vous et pour ceux qui m’aiment, les grenades ne pourront jamais être que miennes. Pour vous et pour eux, l’idée de ma personne est indissolublement liée à ce fruit que j’ai choisi pour emblème