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LE FEU

Automne acquittent le prix de la robe d’or où est enveloppée la Saison morte.

— Quelles fantaisies délicieuses, Stelio ! — dit la Foscarina, qui retrouva sa jeunesse pour sourire, étonnée comme une enfant à laquelle on montrerait un livre historié. — Qui donc vous surnomma un jour l’Imaginifique ?

— Ah ! les images ! — s’écria le poète envahi par une chaleur féconde. — À Venise, de même qu’il est impossible de sentir autrement que selon des modes musicaux, de même il est impossible de penser autrement que par images. Elles viennent à nous de toutes parts, innombrables et diverses, plus réelles et plus vivantes que les personnes qui nous heurtent du coude dans la ruelle obscure. En nous penchant, nous pouvons scruter la profondeur de leurs pupilles suiveuses et deviner, au pli de leurs lèvres, les paroles qu’elles vont nous dire. Les unes sont tyranniques comme d’impérieuses maîtresses et nous tiennent longuement sous le joug de leur puissance. Les autres sont enfermées dans un voile comme les vierges ou emmaillotées étroitement comme les nourrissons ; et celui-là seul qui sait déchirer leur enveloppe peut les amener à la vie parfaite. Les dernières sont peut-être les plus nombreuses. Ce matin, au réveil, mon âme en était déjà toute pleine : elle ressemblait à un bel arbre chargé de chrysalides.

Il s’arrêta et se mit à rire.

— Si ces images s’ouvrent toutes ce soir, ajouta-t-il, je suis sauvé ; si elles restent closes, je suis perdu.

— Perdu ? — dit la Foscarina en le regardant au visage, avec des yeux si pleins de confiance qu’il en éprouva une gratitude infinie. — Non, Stelio, vous ne pouvez pas vous perdre. Vous êtes sûr de vous, toujours ; vous portez vos destinées entre vos mains. Votre mère, je crois, n’a jamais rien dû craindre pour vous, même dans les plus graves circonstances. N’est-il pas vrai ?… L’orgueil seul fait trembler votre cœur….

— Ah ! chère amie, combien je vous aime et combien je vous suis reconnaissant pour ce que vous me dites là ! — confessa-t-il avec candeur, en lui prenant une main. — Vous ne faites qu’alimenter mon orgueil et me donner l’illusion