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Rodenbach, le poète de Bruges, accordé admirablement à tout l’être de sa ville, comme Baudelaire à Paris, Jammes à Orthez, mais ainsi qu’eux purement poète français, qui dans la Jeunesse Blanche, le Règne de Silence, le Voyage dans les Yeux, les Vies encloses, a fait entrer exactement tout ce qu’annonçaient les titres. Le reflux de la mode, la décroissance, depuis trente ans, d’une célébrité momentanée, semblent avoir replacé ses poèmes dans la poussière, les vieilles choses, les mobiliers ternis, dont ils ont besoin, éteint ce qui veut être éteint, mis du désuet dans les armoires de cet amoureux de la durée. Charles Guérin, qui, n’ayant écrit qu’un seul essai de critique, l’a fait tout naturellement sur Georges Rodenbach, et qui, par la pureté des vers, par son don de musique, par la qualité de sa tendresse et de sa mélancolie, par un sens nu, complet, unique, de la vie intérieure, reste entre tous ces poètes celui qui a fait naître et conservé le plus d’affections longtemps et encore fidèles. Par delà Rodenbach et Sully Prudhomme, Guérin rallie une tradition lamartinienne. Ce Lorrain serait peut-être le grand lamartinien de son temps, si son compatriote Barrès n’existait pas. Fils du premier Lamartine seulement, celui qui finit avec les Harmonies. Chez lui, pas d’autre génie oratoire que celui de l’oratoire à prière ! Ce sont les Novissima Verba qu’évoque Nuit sombre, nuit tragique. Et l’admirable Lettre à Francis Jammes, le chef-d’œuvre de l’ « épître » au XIXe siècle, se place bien au-dessus de celles de Lamartine et de la Lettre à Lamartine de Musset.

Rodenbach, Angellier, Guérin, forment un trio parfait et mesuré d’intimistes du Nord. Sur des frontières plus incertaines, entre l’école de Sully Prudhomme et celle de Coppée, on voit les poèmes, plus extérieurs, d’André Rivoire, auteur du Songe de l’Amour, ceux, plus traditionnels, d’Adolphe Boschot (Poèmes dialogués) et cette Maison des glycines d’Émile Despax qui évoque un Charles Guérin moins angoissé, moins pénétrant, plus ensoleillé. Ce groupe intellectuel, ces lévites et ces clercs de la vie intérieure, cette jeunesse pensive, inquiète ou blanche, elle mérite, dans un pays catholique, son aumônier. Il semble qu’il lui ait été donné en la personne de l’abbé Louis Le Cardonnel, l’auteur des Carmina Sacra,