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Lamartine, disait-il à Léo Claretie, l’emploi de la versification a été de plus en plus restreint à l’expression des émotions vives, tendres et mélancoliques de l’âme. J’essaie de réagir contre cette tendance, et de rendre à la versification un visage traditionnel qui est d’exprimer n’importe quoi, pourvu que les conditions qui font un vers soient remplies. Coppée dit l’histoire du Petit Épicier et il ne déroge pas à notre art, malgré l’humilité du sujet. » Évidemment c’était une chance à courir ! Faguet écrivait en 1901 : « Il est probable que la postérité mettra M. Sully Prudhomme aussi haut que l’ont mis ses premiers lecteurs, plus haut que les hommes d’aujourd’hui ne le mettent. » Or, en 1929, M. André Thérive dit dans son livre sur le Parnasse « On ne saurait lire des vers plus obstinément mauvais que ceux de ce poète. La platitude et la cacophonie, le prosaïque et le grandiloque, la vulgarité du langage, une incapacité absolue de quitter le ton journalistique ou philosophard, voilà ce qui y offense sans cesse. Aucune « poésie » ne jure plus fort avec le goût moderne, qui nous incline à chercher pour la Muse un langage spécial, des grâces celées, une démarche allusive. » Le seul disciple authentique (avec Jules Lemaître poète) de Sully Prudhomme, Auguste Dorchain, l’auteur de la Jeunesse pensive, fut écrasé dans la rue par l’automobile d’un romancier pressé. On sent dans ces lignes de M. Thérive les mêmes roues passer sur le maître de Dorchain, la même injustice non seulement du sort, mais des hommes. Sully Prudhomme est un poète abandonné, dans le sens où Duhamel a écrit les Hommes abandonnés. Les symbolistes l’avaient attaqué avec dérision, Gourmont le qualifiait d’augiesque ; de son côté Sully accusait le vers libre d’avancer sa mort, sinon celle de la France, et l’auteur des Stances de 1865 eut la faiblesse de gémir à l’Académie que si elle décernait à l’auteur des Stances de 1898, Jean Moréas, un petit prix que demandait pour lui (Moréas était devenu pauvre) Heredia, il y verrait un outrage personnel. Grande pitié ! Heureusement que c’est au critique, non au poète, qu’il appartient d’écrire le onzième chant de la Justice, celui qui, comme le onzième de l’Odyssée, se passe chez les morts : la justice dans les lettres. Je crois qu’elle sera favorable à Sully Prudhomme et que sa place dans l’histoire de