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que Bergerat, en le copiant sur celui de son beau-père Gautier, ne lui fournit qu’insuffisamment. Le vrai Capitaine Fracasse fut Cyrano. Il y a une filière Scarron-Gautier-Rostand. Et le moineau de Paris que fut l’auteur d’Enguerrande mangea dans la main du boulevard sa miette légitime de gloire, quand un plaisant appela la comédie de Rostand, qui suivait de deux ans son Fracasse, Cyrano de Bergerat.

Cyrano est le chef-d’œuvre de la comédie romantique en vers, le chef-d’œuvre d’un genre qui, il est vrai, n’est pas le chef-d’œuvre des genres. Le vers de théâtre de Rostand ressemble au clown de Banville. Dans ce funambulisme intégral une limite est atteinte, et il n’y a plus qu’à disparaître. Barrès, qui déclare posséder, comme toute sa génération, ce sens et ce goût (aujourd’hui si démodés) de l’acrobatie de rythme et de rime, porté à une si bonne conscience par Banville, le compare au sens de l’escrime dialectique chez le lecteur des dialogues de Platon. Il reste beau que dans Chantecler et Cyrano Rostand ait écrit ses chefs-d’œuvre en revenant ces deux fois au thème de deux autres triomphes dramatiques : la Métromanie et Chatterton, soit la vie, la vocation et le destin du Poète. Le poète se prenant pour sujet, la poésie, moyen et fin, le sort du lyrisme en jeu sur le théâtre, procuraient à la comédie en vers un beau point final et une euthanasie providentielle.

Point final est d’ailleurs façon de parler. Le triomphe de Cyrano réveilla la comédie en vers. Les directeurs devinrent miel et sourire pour les poètes. Mendès fit jouer un Scarron et un Glatigny en vers, sans résultat. Les Bouffons et la Fleur Merveilleuse de Miguel Zamacoïs, banvilleries aimables, touchèrent ou dépassèrent les cent représentations. Jacques Richepin s’élança avec des Cadet Roussel, des Falstaff, des Marjolaine. Pareillement Maurice Rostand continue de mettre de l’eau sur les marcs paternels. Et, en 1918, quand Sacha Guitry représenta son Deburau, les jeunes spectateurs se laissèrent dire, sans objection, par leurs parents, plus connaisseurs, que Deburau était en vers. Grâce à Rostand, la comédie poétique avait fini en beauté, et survécu d’une dizaine d’années au drame romantique.

Le drame romantique, lui, n’a pas survécu au XIXe siècle.