Page:Revue de Paris, 35è année, Tome 3, Mai-Juin 1928.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de notre nation opprimée, non par des propriétaires comme cette Doudouca, qui est une malheureuse, mais par des seigneurs semblables au père de celle-ci, dont le pays est excédé.

Il était en mesure de savoir cela, lui, qui avait parcouru la Roumanie d’un bout à l’autre et savait par cœur la plupart de nos ballades rustiques. Mais je ne l’avais jamais vu si effrayé d’un jugement populaire, qu’il le fut de cette complainte qui accablait « deux femmes battues par le Seigneur », comme il disait. Il la chantonna depuis le lever du soleil jusqu’à la tombée de la nuit, durant toute cette semaine que je passai près de lui à saler du poisson chez la Doudouca. Et jamais, peut-être, sa flûte n’avait modulé une plus triste mélodie, ni ses lèvres articulées de plus navrantes paroles.

Cependant, affolé par la crainte de me voir rivé à une vie de chien pareille à celle que je voyais autour de moi, et la tête tournée, plus que jamais, vers une prochaine escapade avec les chardons libérateurs, je lui ai souvent crié qu’il m’agaçait « avec ses litanies ».

Combien je l’ai regretté plus tard !

Mais qui aurait soupçonné alors que cette innocente obsession devait, sous peu, lui coûter la vie ?

panaït istrati

(À suivre.)