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d’horreur, — les paysannes couraient en se frappant la tête. :

— Ils nous tueront ! Ils nous massacreront, tous, comme des chiens !

M. Critea pensait la même chose :

— Oui, nous serons massacrés… Surtout qu’il ne s’agit plus des « fermes de Juifs », mais de dix départements en révolte, à l’heure actuelle. Comme il n’y a qu’un konak juif sur cent qui flambent, l’armée s’est mise en route. Ce sont les nouvelles d’aujourd’hui, mes amis, et elles donnent à réfléchir : les boyards seront impitoyables !

Ils le furent.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Un crépuscule jaunâtre, lumineux, descendait doucement sur le konak en ruines, encore fumant, et sombre comme la vengeance qui était en l’air. On voyait les silhouettes noires du bétail échappé à l’incendie et errant sur la crête de la colline.

Dans le village, on mangeait, on buvait, on parlait, tous en tas, au milieu de la place, parmi les bœufs dételés et les chars, qui n’étaient pas encore déchargés. Le pope et les familles des paysans aisés avaient fui, emportant le nécessaire dans leurs voitures. Cela donnait aussi à réfléchir. Mais — les succulentes victuailles aidant — les pleurs se turent et on parla plutôt du partage des terres. Dans l’obscurité j’entendis un cojan crier :

— Les champs de mon grand-père s’étendaient du côté de Giurgiu !

— Aha ! tu vises les meilleures terres ! — lui répondit-on.

De temps à autre, une lamentation venait de loin. Une épouse ou une mère pleurait en veillant son mort :

— A-o-leo ! Gheor-ghé ! Gheor-ghé ! com-me ils t’ont tu-é !…

Quelqu’un dit :

— On n’a plus revu Stana…

— C’est sûrement elle qui a mis le feu à la benzine. Pauvre femme !

Soudain une fusée gicla dans la nuit, un coup de canon retentit sur la colline et un obus tomba sur les chars.

Ainsi commença le bombardement de Trois-Hameaux,