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Le soleil dardait comme en avril, soulevant des vapeurs.

Nous rattrapâmes la foule devant la mairie, où elle hurlait :

— Le maire !… le maire !…

Le maire surgit, mais par la porte du jardin, à cheval et à demi-nu. Il parti comme une flèche, prenant une direction contraire à celle du konak. Quelques autres paysans riches le devançaient, toujours à cheval. Voyant cela, deux insurgés qui étaient munis des carabines des gendarmes morts tirèrent sur les fuyards, sans les atteindre, après quoi les rebelles saccagèrent la mairie et commencèrent à monter vers le konak, en courant. Comme ils passaient devant l’église, le pope, le crucifix à la main, voulut leur barrer la route, en ouvrant les bras et en criant, les yeux hors de la tête :

— Arrêtez, maudits, arrêtez, au nom du Seigneur ! L’enfer sera votre part !

— Va-t-en à tous les diables, avec ton enfer et ton ciel !

Il fut renversé.

Une femme, au bord du chemin, les bras en l’air, criait :

— Dieu ! Seigneur ! viens-nous en aide ! quelle malédiction !

Le konak était entouré d’une muraille. Porte verrouillée. Le boyard, on le savait parti, depuis longtemps, avec sa famille. Rien ne bougeait dans la cour. Seuls les chiens, nombreux et gros comme des loups, couraient à l’intérieur des murs, en aboyant furieusement.

La foule se massa devant la porte, vociférant :

— Terre ! Semences ! Bétail !

L’administrateur parut au balcon, l’air calme, mais pâle, et dit, la voix tremblante, au milieu du silence général :

— Je ne peux faire que ce que je fais chaque printemps…

Des cris assourdissants lui coupèrent la parole :

— Non ! Non ! nous en avons assez ! nous voulons nos terres !

L’homme du boyard étendit la main et se fit écouter :

— Comment voulez-vous que je partage des terres qui ne