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bien armés, peu loquaces, graves, surtout, comme les oreilles de leurs maîtres. Et tout de suite, l’ancien de dire à Costaké :

— Tu ferais mieux de garder ta langue au chaud, l’ami !

Puis, à l’instituteur :

— Vous, monsieur Cristea, lisez à l’avenir les journaux chez vous !

Et aux paysans :

— Que faites-vous ici ? Allez-vous-en à vos foyers ! Les rassemblements sont défendus…

— Pourquoi ? — demanda un homme ; — est-ce qu’on a décrété l’état de siège ?

Le gendarme fonça sur l’audacieux :

— Ah, tu connais déjà la Constitution ? Viens un peu que je t’apprenne un article que tu ignores !

Ce fut un cortège tumultueux qui suivit l’homme arrêté jusqu’à la mairie, où le paysan passa quand même la nuit à apprendre « l’article » en question. Mais cet « article » plaida avec une langue de feu, dans le grand procès qui commença sur-le-champ.

Le lendemain, très tôt, nous nous réveillâmes en entendant les hurlements du paysan battu, qui, dès qu’on le lâcha, se mit à courir par tout le village en criant :

— Au secours, hommes bons, au secours !… ils m’ont tué !

Tout le monde accourut sur la place de l’auberge, où l’homme, s’était écroulé, la tête noire, méconnaissable. Toudoritza lui prodigua des soins. L’aubergiste lui fit avaler un bon verre d’eau-de-vie. On cherchait du regard les gendarmes. Ils tardèrent plus d’une heure à arriver. Pendant ce temps, le battu se remit un peu et raconta l’affreuse nuit qu’il avait passée à la gendarmerie. Les paysans écoutaient, blêmes. Des femmes pleuraient. Et voilà que les gendarmes, s’approchèrent en se dandinant et en ricanant, fusil au dos, revolver à la cuisse.

— Assassins !… Bourreaux !…

Un silence complet. Les apostrophés, stoppant au milieu de la foule, essayèrent de découvrir à qui appartenait la