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pas beaucoup de maisons qui pouvaient donner. Ceux qui vivaient dans l’aisance ou dans la richesse, — le maire, le pope, quelques paysans ghiabours et surtout le boyard, — verrouillèrent vite leurs portes devant les affamés, se cloîtrèrent chez eux, impitoyables.

Le boyard, comme la plupart du temps, n’était pas au konak. Il vivait à Bucarest. Mais un événement l’attira, juste pendant la désolation. Cet événement fut l’apparition dans nos parages de meutes de loups qui flairèrent la présence des charognes dont la campagne était couverte. Chasseur passionné, il vint pour organiser une battue. Les paysans se ruèrent aussitôt sur lui, l’implorèrent, s’arrachèrent les cheveux et obtinrent enfin quelques sacs de malaï et quelques moyettes de ciocani.

Je l’aperçus alors, un instant, — gaillard dans la cinquantaine, grisonnant, tête de noceur, fier à crever, fort comme un taureau et bien planté sur ses jambes.

— Allez ! allez ! — fit-il, bourru, aux paysans qui le suppliaient. — Vous êtes toujours prêts à crier misère. Il n’y a pas que pour vous que l’année a été mauvaise !

Le lendemain, dès l’aube, une trentaine de villageois, armés de leurs fusils, cernèrent le petit bois qui avoisine le konak. Ces hommes avaient été désignés par le boyard même. Et cependant, sans savoir comment, — après quelques loups abattus dès la première heure, — une décharge « malencontreuse » broya l’épaule gauche du maître du département.

— Quelqu’un l’a pris pour un… loup ! — disaient les cojans.

Oui, mais qui avait été le chasseur de ce loup ?

On chercha. Des innocents furent inutilement torturés. Lorsqu’il fut question de les inculper, Tanasse parut :

— C’est moi qui ai tiré…

— Pourvu qu’il crève ! — disait Costaké. — Ce serait un chardon de moins sur notre Baragan !

Il ne creva pas, et le Baragan de Vlachka continua à avoir son gros chardon. Ce fut plutôt Trois-Hameaux qui perdit son brave et malheureux Tanasse. Il fut ligoté et traîné devant le boyard, qui, déjà convalescent, se contenta de dire à ses argats :