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— La neige ! la neige ! — s’écria-t-elle, battant des mains comme un enfant ; — il nous fallait un Saint Nicolas paré de sa barbe blanche !

Et, reprenant son ouvrage, elle chantonna timidement :

Qui t’a faite si fine, et élancée ?
Toudoritza néné !

Depuis que j’étais dans la maison, c’était la première fois que je l’entendais chanter. S’en rendant compte elle-même :

— Mon Dieu… Tout s’oublie dans la vie ! — soupira-t-elle. — As-tu vu ça, Mataké ? Je croyais mourir… et me voilà chantant !

— C’est bien, — dis-je. — Et puis, tu dois être contente de savoir que tu es, comme le dit la chanson, « fine et élancée ».

Elle me regarda :

— Il ne faut pas t’amouracher de moi, Mataké ! — fit-elle, enjouée, un peu railleuse.

— Et pourquoi pas ? — m’écriai-je.

— Oui c’est vrai : pourquoi pas ? — Seulement parce que tu n’as que quinze ans. Mais un jour tu feras un beau gars. Alors tu seras beaucoup aimé par les Toudoritza.

— Je voudrais que ce soit toi…

— Moi, chéri, ce jour-là, je serai épouse et mère et tout sera fini pour moi ! Des mioches, toujours sales, et une belle-mère, toujours acariâtre, me crieront après. Un mari, qui ne m’aimera plus, dira que je suis une souillon et me battra peut-être.

— Pourquoi alors t’empresses-tu de te marier à vingt ans ?

— C’est notre sort, Mataké… On va vers le mariage comme on va vers la mort : tout en aimant.

— Il ne faut donc pas envier le sort de Stana : elle sera battue bientôt, car Tanasse ne l’aime pas.

Toudoritza songea un instant, le regard vague :

— Ce n’est pas la même chose, mon chéri… Stana est une coureuse, qui se moque de Tanasse comme du boyard, comme du mariage et comme de l’amour même. Elle n’aime que sa vie libre et ensorceler les hommes. Elle ne s’embarrassera pas de ses enfants et ne se laissera pas battre. Quant à envier son sort, non… J’aime mieux le mien.