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jours, un gel sec sévissait tel un torrent de feu, transformant la boue en silex. Pas un flocon de neige qui défendît les ensemencements de l’affreuse brûlure. C’est ce dont s’entretenaient pleins d’angoisse, les paysans rassemblés bien avant midi devant l’auberge. Comme c’était dimanche, celle-ci n’ouvrait qu’après la messe. On avait fait une loi comme cela, pour que les paysans fussent obligés d’aller à l’église, au moins le dimanche matin, faute de cabaret ouvert. Mais les hommes n’y allaient quand même pas, laissant la messe à quelques « vieilles sourdes ». Ils venaient s’appuyer le dos contre les volets fermés de père Stoïan, en attendant la fermeture de l’église et l’ouverture du bistrot.

Par un soleil qui faisait étinceler le givre des acacias, jeunes et vieux, comiquement endimanchés d’un foulard écarlate, bavardaient avec des mines assombries, formant une masse compacte, quand le pope passa, furieux :

— Vous êtes des vauriens ! — leur lança-t-il. — C’est étonnant que Dieu ne nous envoie pas ses foudres !

— Il nous les envoie, parbleu ! mais il y a des heureux qui sont munis d’un paratonnerre ! — riposta promptement une voix.

Alors seulement nous nous aperçûmes qu’il y avait parmi nous un inconnu, un citadin, un jeune homme à chapeau. C’est lui qui avait répondu au pope et fait éclater de rire tout le monde.

— Oui, — reprit-il, — à vous autres les paysans et à nous les ouvriers des villes, le Dieu de ce pope envoie chaque jour ses foudres : ce sont les famines, parmi les hommes et parmi les bêtes, les gels, comme celui-ci, qui anéantissent les champs, les ouragans, comme ceux du mois dernier, qui tuent hommes et bêtes tout le long des routes, la sécheresse, comme celle qui a détruit la récolte de cette année. En voilà des « foudres » ! Mais il faudrait se demander pourquoi votre propriétaire n’a été touché par aucun de ces malheurs ? Pourquoi ses greniers sont pleins et son bétail intact ? Pourquoi « les foudres divines » ne le réduisent pas, lui aussi, à la misère ?… ni le pope ! ni le maire ! ni quelques autres ! Il y aurait donc lieu de croire à la protection céleste ou au paratonnerre.

L’inconnu promena un regard intelligent et interrogateur