Page:Revue de Paris, 35è année, Tome 3, Mai-Juin 1928.djvu/627

Cette page a été validée par deux contributeurs.

coupables « avec le bourreau du village », et un gamin joua du tambour sur un pot fêlé.

Je m’y trouvais, ce dimanche-là, pour voir Tanasse à côté d’une femme qu’on appelait târâtura. Il était à plaindre, le pauvre, effondré, n’osant regarder personne en face. Il fut bien plus à plaindre le lendemain, le lundi matin. Nous étions, Costaké et moi, dans la forge, où nous mettions un peu d’ordre parmi les outils, quand nous le vîmes, dans ses habits de noce, se diriger droit vers l’auberge, à côté. Il passa sous nos yeux sans un mot, tête basse. Et cependant il nous aimait, Costaké était son meilleur ami.

— Il ne nous a pas vus, — dit Costaké. — Il doit être très malheureux… Allons le voir.

L’auberge était vide. Dans l’arrière-boutique, père Stoïan et Tanasse, tous deux debout, se versaient des petits verres, sans parler. Je me retirai dans un coin, un chat dans les bras, pour ne pas les gêner, mais longtemps ils ne se dirent rien. Tanasse était rouge à faire peur. Puis je le vis enlever de sa boutonnière la bétéala[1] et la petite branche de citronnier, et les glisser doucement sous la table :

— C’est fait, — dit-il, alors, d’une voix rauque en posant son regard sur Costaké. — Maintenant, la târâtura est ma femme…

— Dieu l’a voulu ! — fit père Stoïan.

— Le chien l’a voulu ! — s’écria Tanasse, — mais que je sois chien comme lui si je ne lui joue un mauvais tour, un de ces jours prochains !

— Tu te découvriras des compagnons, — dit Costaké, — tout un département. Il y a bien d’autres Tanasse auxquels il a fait épouser d’autres Stana.

De pareilles colères éclataient souvent dans la boutique de père Stoïan, car l’aubergiste avait lui aussi des griefs contre le propriétaire et tenait pour les paysans. Mais il y eut un jour une colère qui retentit au delà des murs de l’auberge.

C’était un dimanche, vers la fin novembre. Depuis quelques

  1. Sorte d’enseigne que portent les mariés.