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Le visage contracté de détresse, le cojan soupesait les épis, les regardait longuement, les flairait, se lamentait. C’étaient des pauvres diables, ces Vlachkans, pareils à ceux de chez nous, en Yalomitsa : maigres, la peau sur les os, le front plissé avant l’âge, l’œil terne, non rasés pendant des semaines. Sur leurs blouses, qui pendaient jusqu’aux genoux, on ne pouvait plus compter les pièces. Le pantalon, un amas de lambeaux. Pieds nus, tête nue. Vrais mendiants. Ils me faisaient de la peine comme s’ils avaient été tous mes parents. Leurs femmes, la trentaine passée, on eût dit des vieilles. Pressées dans ce travail, qui doit être fait rapidement, celles qui allaitaient abandonnaient leur bébé à quelque bambin un peu plus âgé, au milieu du maïs, où il hurlait jusqu’à étouffement. Des chiens allaient ronger leurs langues sales et leur lécher le visage. Alors l’aîné attrapait le mioche par un bras et partait à la recherche de sa mère, traînant la poupée vivante derrière lui, tel un paquet, et lui disant :

— La voilà, mama, la voilà !

Oui, elle n’était pas gaie, la vie des gens mariés. La jeunesse, en échange, s’étourdissait comme à une noce. Des cris, des chants, des rires, des baisers, des farces, des blouses rouge-feu, jaune-citron, bleu-vert, des chars pleins d’épis de maïs, et le soleil éblouissant par-dessus tout cela. Sous des regards embrasés par la passion, les amoureuses couraient l’une après l’autre en secouant leurs seins pointus. Avec plus de profit couraient alors les gars, qui écrasaient les seins pointus contre leurs mâles poitrines. On se débattait pour mieux se sentir et on protestait pour les yeux des mères, qui n’étaient pas contentes ; mais cela importait peu.

Des chats et des chiens donnaient la chasse aux rats, qui surgissaient de partout. Des pourceaux, le joug au cou, s’enfuyaient, espiègles, un épis de maïs dans la gueule et la queue en tire-bouchon. Seules les bêtes de somme, pareilles aux gens mariés, ne prenaient aucune part aux plaisirs de la cueillette, elles ruminaient, indifférentes, la même tige sèche et la même mélancolie, en attendant l’heure où on les attellerait.