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LES CHARDONS DU BARAGAN[1]


Après une semaine de mauvais temps, le soleil ayant brûlé pendant quelques jours, Trois-Hameaux décida de faire la cueillette du maïs. Chaque famille laissa tomber ses préoccupations habituelles, et la commune tout entière — hommes, femmes, enfants, vieillards, bétail, chiens, chats, et même quelques pourceaux — se rua sur les champs. Leurs propres champs, pour ceux, peu nombreux, qui en avaient et qui pouvaient se passer de la terre du boyard. Les champs du boyard, d’abord, pour les innombrables qui étaient des « pauvres collés à la terre » et qui n’ensemençaient que sur les terres cédées à conditions par le maître-seigneur. Et une de ces « conditions » était : les récoltes du boyard doivent être rentrées les premières.

Le spectacle de cette cueillette ne manqua ni de tristesse ni de gaieté. Tristesse, bien entendu : l’année avait été sèche ; le maïs qui, habituellement, peut cacher un cheval dans sa masse, laissait voir entre les tiges les bêtes des coulégatori[2]. Quant aux épis, aux grains, les paysans les qualifiaient de « phtisiques ». Et ils s’en montraient fort mécontents :

— Non seulement nous ne pourrons rien vendre et, donc, rien rembourser de nos dettes, mais encore nous manquerons de malaï[3] avant le grand carême ! Nous crèverons de faim cet hiver ! Et le bétail aussi !

  1. Voir la Revue de Paris des 1er et 15 mai.
  2. Gens qui font la cueillette.
  3. Farine de maïs.