Page:Revue de Paris, 35è année, Tome 3, Mai-Juin 1928.djvu/47

Cette page a été validée par deux contributeurs.

bossèle et s’aplatit à volonté, joyeux de tout ce monde qui roule furieusement sur son dos, pendant que « le Crivatz » trompète sa rage. Par moments, lors d’une trêve, il se tient coi pour sentir le passage de trois ou quatre chardons qui galopent comme de bons camarades, se heurtent gentiment, s’entre-dépassent pour plaisanter, mais vite se rangent et vont coude à coude.

Vers la fin de la crise, il y a les chardons solitaires. Ce sont les plus aimés, parce que très attendus. Soit que leur tige n’ait pas été suffisamment sèche pour casser dès le début, soit qu’ils aient eu la malchance de s’engouffrer momentanément dans quelque ravin, soit enfin parce que des galopins leur ont couru après et les ont arrêtés dans leur route, — ils sont en retard, les pauvres. Et on les voit qui défilent, isolés, roulant comme de petits bonshommes pressés. Le ciel et tout le Baragan les regardent : ce sont les solitaires, les plus aimés.

Puis toute vie s’arrête, brusquement… Les vastes étendues sont nettoyées comme les dalles d’une cour princière.

Alors le Baragan endosse sa fourrure blanche et se met à dormir pendant six mois.

Et les chardons ?

Ils continuent leur histoire…

C’est une histoire presque inouïe, car elle tient de notre terre roumaine. — Mais il faut que je commence par le début…

Quoique baltaretz[1] de Laténi, sur la Borcéa, — cette fille du Danube qui ose se mesurer avec son père, — je ne suis pas yalomitséan de bachtina[2]. Mes parents, tous deux Olténiens, pauvres comme Job, sont partis dans le monde, alors que j’entrais dans ma seconde année. Et que faut-il que je vous dise de plus ? Après mille pérégrinations à travers vingt départements, ils jetèrent leurs besaces et moi, haut

  1. Qui habite les marais (balta).
  2. Autochtone.