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Autour de lui, tout ce que le regard peut embrasser à la ronde, ce ne sont que chardons, l’innombrable peuple des chardons. Fournis, touffus, on dirait des moutons dont la laine serait d’acier. Tout est épines et semence. Semence à éparpiller sur la terre et à faire pousser des chardons, rien que des chardons.

Comme le berger, ils chancellent aussi ; c’est dans leur masse compacte que le Moscovite souffle avec le plus d’acharnement, pendant que le Baragan écoute et que le ciel de plomb écrase la terre, pendant que les oiseaux s’envolent, désemparés.

Ainsi, une semaine durant… Ça souffle… Les chardons résistent, ployant en tous les sens, avec leur ballon fixé à une courte tige, pas plus épaisse que le petit doigt. Ils résistent encore un peu. Mais le berger ne résiste plus ! Il abandonne à Dieu l’ingratitude de Dieu, et rentre.

Nous disons, alors : Tsipénie ! (Plus âme qui vive !) C’est le Baragan.

Et, Seigneur, que c’est beau.

Avec tout l’élan dont son cheval est capable de galoper, « le Crivatz » se déchaîne dans l’empire du chardon, bouleverse le ciel et la terre, mêle les nuages à la poussière, anéantit les oiseaux, et les voilà partis, les chardons ! Partis pour semer leur mauvaise graine.

La petite tige casse net, fauchée à la racine. Les boules épineuses se mettent à rouler, par mille et mille. C’est le grand départ des chardons, « qui viennent Dieu sait d’où et vont Dieu sait où », disent les vieux en regardant par la fenêtre.

Ils ne partent pas tous à la fois. Il y en a qui, au premier souffle furieux, déguerpissent, vraie avalanche de moutons gris. D’autres s’entêtent à tenir bon, mais les premiers les accrochent, dans leur cavalcade intempestive, et les entraînent. Ils s’emmêlent et font une boule de neige irrégulière qui roule cahin-caha jusqu’à ce que « le Crivatz » la pulvérise d’un souffle furibond, les soulève, tous, en l’air, leur fasse danser une ronde endiablée et les pousse de nouveau en avant.

C’est alors qu’il faut voir le Baragan. On dirait qu’il se