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Il ne s’agit pas de ces chardons qui poussent comme le maïs et qui font une belle fleur rouge, duvetée, que des jeunes filles de chez nous tondent le soir de Saint-Toarder, en chantant :

Coditsélé fétélor
Cât coditsa iepelor !
Que les nattes des fillettes
Deviennent grosses comme la queue des juments !

Les chardons dont il est question ici apparaissent, dès que la neige fond, sous la forme d’une petite boule comme un champignon, une morille. En moins d’une semaine, ils envahissent la terre. C’est tout ce que le Baragan peut supporter sur son dos. Il supporte encore les brebis qui sont gourmandes de ce chardon et le broutent avidement. Mais plus elles le broutent, et plus il se développe, grandit, toujours en boule ; il atteint les dimensions d’une grosse dame-jeanne, quand il arrête sa croissance et quand le bétail lui fiche la paix, car il pique, alors, affreusement. Elle sait se défendre, cette mauvaise graine. Tout comme la canaille humaine : plus elle est inutile, et plus elle sait se défendre.

Mais quelle certitude avons-nous de l’utile et de l’inutile ?

Aussi longtemps, que le Yalomitséan se démène, s’entête à arracher à son sol une poignée de maïs, ou quelques pommes de terre, le Baragan n’est pas intéressant. Il ne faut pas le visiter. C’est une chose bâtarde, comme une belle femme vêtue de loques, comme une mégère parée de diamants. La terre n’a pas été donnée à l’homme seulement pour nourrir son ventre. Il y a des coins qui sont destinés au recueillement.

C’est cela le Baragan.

Il commence à régner dès que l’homme laborieux rentre chez lui, dès que les chardons deviennent méchants et que le vent de Russie se met à souffler. Cela se passe en septembre.

On voit, alors, de loin en loin, un berger qui tourne le dos au Nord et s’attarde à faire paître son troupeau. Immobile, appuyé sur son bâton, le vent le fait bouger, chanceler, comme s’il était de bois.