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de la maison : le bétail, les ateliers, le ménage. Ils gagneront largement leur croûte, pour ne pas parler du service qu’on leur aura rendu, au bout de quelques années, en les armant d’un métier. Que voulez-vous ? Je ne pouvais pas les laisser au milieu du Baragan où ils erraient à la découverte du monde. Cela ne se fait pas même avec un chien, sacré nom de pays de hobereaux !

Costaké partit en colère :

— Voilà la vraie histoire des chardons ! Les chardons-ciocoï[1] ! les chardons-bourreaux !… la lèpre toute puissante qui sévit sur notre trop patient pays, devenu un immense Baragan !… Je me le demande, pour la millième fois : comment se fait-il que le cojan ne sente pas les piqûres de ces chardons qui envahissent sa tinda, lui poussent sur le dos, le vident de sa dernière goutte de Sang ? Comment se fait-il que la rage ne lui monte pas à la tête et qu’il ne mette pas le feu à toute cette mauvaise herbe qui le chasse de sa propre chaumière ?

Je n’avais jamais, jusque-là, entendu quelqu’un parler de la sorte, et j’en frémis de contentement. Les autres aussi devaient sentir comme Costaké, car personne ne parut contrarié. Les parents, l’air soucieux, semblaient plutôt convaincus à l’avance. Dinou, un blond au regard un peu bête et aux manières gauches, écoutait avec une espèce de déférence morne. Il était, d’ailleurs, très jeune et peu dégourdi, cela se voyait facilement. Quant aux deux jeunes épouses, Lina et Maria, elles restaient placides, chacune les yeux pleins d’amour pour son mâle.

Ceux qui prenaient le plus d’intérêt à la discussion, c’étaient les quatre apprentis, qui se chuchotaient des mots insaisissables pour les oreilles des grands. Le rouquin, surtout, était un vrai diable, tout petit qu’il fût. Il s’appelait Élie et n’avait plus aucun parent en ce monde. Des trois autres, deux étaient déjà à moitié ouvriers. Ils se donnaient beaucoup de mal pour paraître sérieux. Le dernier était un glouton qui parlait peu et « travaillait comme un cheval », disait-on. Et tous les quatre paraissaient très attachés à la maison. Ils aimaient plus particulièrement Costaké qu’ils appelaient

  1. Valets enrichis.