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Pleine de lumière et de laideur.

Je connaissais bien la lumière. De sa laideur, je ne savais pas grand’chose, ce matin-là, mais deux décharges de carabine, qui retentirent au moment où nous nous apprêtions à quitter le vallon, devaient m’instruire aussitôt sur la cruauté de l’homme. J’étais, cependant, loin de deviner le drame, qui fut rapide.

— Ce doivent être des chasseurs, — dis-je, en entendant les détonations.

— Sûrement, — acquiesça Brèche-Dent.

Et il grimpa jusqu’au bord du plateau, jeta un coup d’œil sur le Baragan, et recula effrayé :

— Deux gendarmes, penchés sur un homme qu’ils ont tué ! — gémit-il.

Nous nous réfugiâmes vite derrière la colline, nous cachant dans des ronces. De là, nous vîmes les gendarmes traîner le corps, chacun par un bras, droit sur le vallon, où ils le firent rouler d’un coup de botte. À la vue de la cendre fraîche, l’un d’eux dit :

— Quelque berger a passé la nuit ici…

Ils s’éloignèrent sans plus, au pas militaire, la carabine au dos.

Lorsqu’ils eurent disparu à l’horizon, nous allâmes voir l’homme qu’ils avaient tué. C’était un jeune paysan, loqueteux. Il gisait, face au ciel éblouissant, les bras ouverts, les jambes écartées, la mine ébahie. Ses poignets, bleus, prouvaient qu’il avait porté des menottes durement serrées.

Brèche-Dent, qui se tenait debout à la tête du mort, s’accroupit brusquement et lui ouvrit une paupière :

— Il a les yeux verts, — fit-il.

Puis se levant :

— Fuyons avant que le procureur n’arrive !

Mon compagnon redoutait le procureur, comme tous les paysans ; mais sur le Baragan, c’est le charognard qui remplace le parquet.

Nous n’avions plus nos chardons, ni nos perches, car le feu les avait consumées. Nous n’avions pas davantage l’envie