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village, où les enfants faisaient un vacarme du diable, en suivant la cotiouga du boulanger.

— Du pain !… du pain !… du pain !…

On n’entendait que ces mots-là et les aboiements des chiens, affolés, eux aussi, par le passage du boulanger. Le malheureux ! Pour les cinq ou six kilos de pain qu’il parvenait à vendre dans notre village, c’était une vraie bataille qu’il devait livrer, chaque semaine, à la meute des gamins. Les coups de fouets pleuvaient sur leurs têtes. Et encore, rarement il se tirait sans dommage. Ce jour-là, Brèche-Dent réussit à lui escamoter un pain. Mais il fut dénoncé par un camarade envieux, et le boulanger alla demander les quatre sous au charron, qui paya, après force jurons et menaces à l’endroit de son fils :

— Cette fois je t’assommerai, sache-le bien ! — lui hurla-t-il, — à moins que tu ne rentres plus à la maison !

Brèche-Dent s’enfuit, le pain sous le bras et entouré de toute la bande, qui le suppliait :

— Une miette !… Rien qu’une miette !…

Bon garçon, il distribua la moitié du pain. J’en eus une miette, moi aussi.

— Le reste, ce sera pour demain, — dit-il.

Et tous ensemble nous allâmes trouver père Nastasse au pâturage. Mis au courant du vol et de la menace, le vacher s’empressa de consoler Brèche-Dent :

— Que ton père la ferme ! — s’écria-t-il. — Je sais, moi, qu’il volait à ton âge bien plus que toi. Voici le pope, qui peut en témoigner.

Le pope était là, un vieillard à face placide et au nez rouge. Loqueteux comme toute la commune. Très brave au reste. Il se plaignait au vacher de se voir dans l’obligation de faire lui-même la fenaison et le maïs. Il jurait :

Ceara ei de biserica[1] qui n’est pas seulement fichue de nourrir son pope !

— Et moi ! — répliquait père Nastasse, — moi qui fais tant de corvées pour des riens : pour une courge, un tamis de farine de maïs, rarement quelques œufs. Quant au troupeau,

  1. Sacré nom d’une église.