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sa matraque, boiteux, un peu bossu d’une épaule, les yeux larmoyants, camus, hirsute, perdant toujours son pantalon, il était l’âme du village ; un coup de canif dans le ventre, et voilà la bête debout ; une vache tombait-elle malade, il lui enfonçait la main dans le derrière, jusqu’au coude, et la voilà guérie ; un veau « venait-il » mal, avec sa main encore il le faisait « venir », « le museau gentiment couché sur les deux pattes de devant » ; un pourceau frappé de diarrhée par la crise de croissance, il le rendait cazac avec une poignée d’avoine « mélangée d’on ne savait pas quoi » ; un chien menacé de rage, il le brûlait avec un fer rouge entre les yeux et c’était fini. Il savait masser mieux qu’un baba, prédire sans défaillance le temps qu’il ferait, et indiquer, dès leurs trois mois, les poulettes qui allaient devenir de bonnes pondeuses et les coqs qui seraient les plus « travailleurs ».

Mais il fallait voir père Nastasse lorsqu’il châtrait un poulain ou un taurillon à l’aide de quelques baguettes et d’un bout de ficelle. C’était à peine si la bête écarquillait un peu les yeux quand, il la « soulageait » en un tournemain, lui chantonnant :

Approche-toi, petit :
Tu vivras célibataire,
Les filles ne t’aimeront que mieux.

Quant aux enfants, nul, plus rapidement que père Nastasse, ne savait leur apprendre à compter, sans faute, « jusqu’à cent ». C’est alors que, levant son bâton, il leur disait impérieusement :

— On ne devient un om qu’en s’en allant de par le monde ! Surtout lorsqu’on a un grain de malice dans la caboche, ce qui arrive à nous autres cojans aussi.

Et il citait des exemples :

— Regardez monsieur Vasilika, juge à Calarashi, monsieur Endrei, chapelier à Bucarest, monsieur Takén, grand manufacturier à Braïla. Ce sont tous des fils de cojans de chez nous ! Qu’est-ce qu’ils seraient aujourd’hui s’ils n’étaient pas partis ? Des argats ! Des traîne-savates ! — Et les voilà des hommes !

Les gamins, faisant cercle autour de lui, l’écoutaient, se