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de ces hommes de toute condition et de toute tendance, Tikhon ou Vlass[1] Nekhlioudov (de Résurrection), ou Zossima et Aliocha (des Frères Karamazov), Dostoïevsky lui-même comme Tolstoï, la pure révolutionnaire Perovskaïa, la « grand’mère de la révolution » Breschko-Breschkovskaïa, tous également d’un haut sentiment religieux, bien que sans chapelle, ceux et celles que vise la formule de l’insigne observateur latin de l’âme russe qu’était E. Melchior de Vogué : « Si vous saviez jusqu’où elle peut monter ! »

Mais il en est d’autres dans la société russe, bien plus nombreux aux époques des grandes crises, à qui la nature raciale impose une chute d’autant plus profonde que le but de leur montée est plus haut placé. C’est la voie d’épreuves suivie par Raskolnikov (de Crime et Châtiment), par Dmitri Karamazov, ce devait être celle de Stavroguine, des Possédés, ce sera celle du « Grand Pécheur » qui, lui, deviendra d’autant plus « grand homme ».

Dans ses lettres au critique philosophe Nicolas Strakhov, que, avec Maïkov, il prenait de préférence pour confident littéraire, Dostoïevsky confesse que, pendant toute l’année de 1870 de sa composition des Possédés, il avait modifié dix fois au moins le plan de ce roman et déchiré à mesure les pages déjà écrites. Et, comme à Maïkov, il annonce par la même occasion à Strakhov (le 2 décembre 1870) son futur roman La Vie d’un grand Pécheur qui le « tourmente depuis plus de trois ans » ; mais il veut l’écrire « comme écrivent les Tolstoï, les Tourguéneff, les Gontcharov », c’est-à-dire aux jours de leur inspiration, en auteurs dotés de rentes et non dans un délai imposé par les éditeurs lui ayant versé des « avances ». C’est donc l’œuvre qui le hante depuis trois ans qui entrave sa rédaction des Possédés.

Nous savons que, finalement, Dostoïevsky dut remettre l’achèvement de la création d’un « héros nouveau » aux jours de grâce lui permettant de travailler à la Tolstoï et à la Tourguéneff. Il réserva à cette fin les pages comme celles de la « Confession de Stavroguine », mettant « en action » les années d’infamie et de souffrance d’un « pécheur ». Et c’est afin de suppléer à l’obscurité du « plan » de La Vie du grand Pécheur, que nous avons cherché à scruter les intentions de Dostoïevsky et à établir par cette voie la similitude entre la carrière extravagante de Stavroguine et la première période de celle du « héros nouveau ».

Abordons le plan même. Nous ne suivrons pas l’ordre, plus exactement le désordre, de la notation de Dostoïevsky : nous avons pris souci de coordonner et de sélectionner les notes, en reproduisant d’abord celles qui tracent l’idée dominante du roman, puis la psychologie du principal acteur, et enfin, la trame de l’action.

  1. Paysan symbolisant le peuple russe et évoqué dans Le Journal d’un Écrivain de Dostoïevski.