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MAHATMA GANDHI

À la veille de la guerre, le Gouvernement impérial décidait de transporter à Delhi la capitale, dont les travaux grandioses sont à peu près terminés aujourd’hui. Et voici qu’on en tire des présages sinistres. Delhi, l’antique cité dont le sol est fait des décombres des civilisations et des dynasties et où l’on pourrait déchiffrer l’histoire de l’Inde comme on déchiffre l’histoire de la terre aux couches de terrains superposées ! La capitale superbe qui s’y établit ne va-t-elle pas bientôt simplement ajouter sa ruine à ces ruines ? Crainte qui porte en elle sa propre puissance de réalisation pour un peuple superstitieux.

Mais avec le Trône de l’Empereur-Roi qui vit à Londres, l’Inde est-elle bien sûre que ne s’écroulera pas le meilleur d’elle-même et de son rêve national ? Nous oublions trop combien de races, de langues, de religions, de castes différentes et rivales se partagent les trois cent millions d’habitants de cette immense péninsule. Seule, la commune loi britannique y préserve, avec l’ordre et la paix, l’apparence de l’unité. Hindous et Mahométans, négligeant un instant leur vieille querelle, s’accordent à refuser d’obéir aux lois. Mais déjà, l’été dernier, les Musulmans du Malabar massacraient les Hindous qui ne voulaient pas se convertir à leur foi. Que sera-ce quand l’adversaire commun aura disparu et qu’ils se retrouveront seul à seul dans l’arène ?

Le Mahatma, qui volontiers reprocherait au Christ de n’avoir pas été assez Christ, est-il sûr de réussir, mieux que le Christ, à faire régner du jour au lendemain parmi les hommes la loi d’amour et de fraternité, sans parler de toutes les autres vertus chrétiennes ou védiques ? C’est sous tous les climats le miracle des miracles, la condition et la clé de tous les autres ; la sagesse hindoue elle-même n’en possède pas le secret ; il n’a été donné de le découvrir ni à la noblesse d’âme, ni au zèle de charité, ni aux prières, ni aux austérités, ni aux souffrances de Gandhi.

J.-AUGUSTIN LÉGER