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LA REVUE DE PARIS

En vrai idéaliste russe il fut un ennemi acharné de la peine de mort. Son Histoire des Sept Pendus, dans son réalisme visionnaire, est à ce sujet un des cris de révolte les plus frémissants, les plus beaux, les plus persuasifs qu’ait jamais poussés conscience humaine. Or, le bolchevisme déroule devant ses yeux une épouvantable orgie de massacres.

La crainte et l’attirance de la folie persécutaient toujours Andreïeff. Sa nature, dont la sensibilité était poussée à un degré morbide, le porta sans cesse vers l’absolu, le fatal, l’illimité. Il en a marqué presque toute son œuvre — romans ou pièces — qui flotte entre le normal et l’irréel, aux limites de la conscience, et surtout le Rire Rouge, cette admirable et monstrueuse hallucination, où le monde entier semble couvert de buée et de lueur sanglantes, où toute l’humanité se résout en une lourde brume pourpre au fond de laquelle éclate le rire maléfique de la Russie. Or sa patrie lui offre une vision que son imagination elle-même aurait été impuissante à lui fournir. Il assiste à la rupture de l’équilibre moral dans tout un peuple, à la démence des dirigeants et des masses, il plonge dans la fantasmagorie de l’horrible.

Tout cela — amertume d’un culte détruit, révolte devant le sang versé, contagion de la folie collective — il le verse dans son journal intime avec un rythme enfiévré qui lui donne un souffle chaotique, un halètement de souffrance et de colère. Et comme Andreïeff est un maître — non pas de la composition — mais de la suggestion, comme son art a la mystérieuse puissance d’insinuer, de troubler, d’élargir le champ des sensations en dépit de la logique — la tension et le décousu de son journal, qui, chez un autre écrivain auraient pu diminuer la force d’expression, ne font chez lui qu’accroître la beauté de certaines pages.

J. Kessel


13 avril 1918. — La révolution est un moyen de résoudre les différends humains aussi peu satisfaisant que la guerre. Seul, notre état de vils bipèdes permet et, en partie, excuse ces moyens. Puisqu’il est impossible de vaincre une pensée adverse sans briser le crâne qui la contient, puisqu’il est impossible d’apaiser un cœur mauvais sans le percer d’un couteau, la chose est claire : battez-vous !

18 avril, matin. — Nous vivons dans des conditions extraordinaires, compréhensibles à la rigueur pour le biologiste qui étudie la vie de la moisissure et des champignons, mais inadmissibles pour un psycho-sociologue. Plus de lois, plus