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LA REVUE DE PARIS

de toutes les religions célébreront ton triomphe et chanteront pour le salut de ton âme. Inonde les pays de sang, passe les peuples au fil de l’épée, incendie les villes, massacre, détruis et pille. Cela n’empêchera pas les poètes de te célébrer et les historiens de perpétuer tes hauts faits, beaucoup plus que si tu étais un bienfaiteur de l’humanité. Mais, s’il advient que d’autres, sans être habillés de ce vêtement de coupe et de couleur spéciales qu’on appelle uniforme, tentent de t’imiter et commettent les mêmes atrocités que toi, ils traîneront une chaîne dans le cachot d’une prison… Tu peux te retirer. Qu’un autre s’avance ! »

Le troisième était un adolescent maigre, nerveux, d’une pâleur verdâtre, au regard plein de ruse. Le Seigneur, avant de décider ce qu’il ferait de lui, réfléchit un instant ; puis il prononça :

― Toi, tu dirigeras les affaires du monde ; tu seras en même temps le marchand et le banquier. Tu prêteras de l’or aux rois : cela te permettra de les traiter comme s’ils étaient tes égaux ; et, s’il t’arrive de ruiner toute une nation pour ton profit, le monde admirera ton habileté. Tes grandes combinaisons financières répandront la panique dans l’univers entier, feront peser sur les villes des heures d’angoisse mortelle. Tes victoires à la Bourse auront pour accompagnement les coups de pistolet de tes victimes acculées au suicide et les pleurs de leurs familles.

» Tu provoqueras des guerres incompréhensibles, tu favoriseras des traités de paix ruineux, tu seras responsable de l’envoi de cuirassés et d’armées expéditionnaires pour soutenir tes revendications injustes et usuraires contre les peuples faibles. Tes fils croiront protéger les arts en entretenant luxueusement des danseuses, des cantatrices ou des femmes quelconques, qui porteront de somptueux costumes et des joyaux extraordinaires pour la satisfaction de ton orgueil. Quant à toi, retenu par tes affaires, tu vieilliras et tu arriveras tard sur la scène de la vie, pour y être un Mécène de la même espèce ; mais tu te contenteras de protéger les peintres.

» Les opinions les plus disparates accompagneront pendant trente ou quarante ans le souvenir de ton nom : car ton nom, comme celui des ténors et des comédiens, vivra tout juste