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Dans ce lieu, témoin de tout son effort, de sa carrière glorieuse, monta ce cri de folie.

Émue, touchée, Louise resta muette, un instant, puis, avec une infinie tristesse, elle lui montra le portrait de cette dame souffrante, qui semblait veiller là, attentive, anxieuse.

— Vous l’avez disputée à la mort, — dit-elle, — vous l’avez sauvée : voulez-vous la tuer maintenant ?

Il ne dit plus rien, et, sur la poitrine de Louise, il pleura…

L’horloge sonna : il y avait près d’une heure que Louise était là, que couraient les minutes désolées de leur rencontre.

Elle dit :

— Il faut que je parte.

Elle lui mit sur le front un baiser, grave comme un baiser funèbre.

Il tressaillit, demanda :

— Vous reverrai-je ?

Et elle s’en alla, dans ses voiles de deuil, Némésis inconsciente, qui en vengeait d’autres, tant d’autres sacrifiées, dès longtemps tombées à l’oubli…

Le soir, sur le balcon de leur appartement des Champs-Élysées, Louise et le comte Kowieski regardaient les feux errants fuir et s’entre-croiser au long de l’avenue.

— Vous êtes mélancolique, Louise, — dit-il ; — je croyais que vous auriez tant de joie à revoir votre ville ?

— Je suis allée aujourd’hui, — fit-elle, — porter des fleurs au cimetière, à une amie morte pendant mon absence. Et cela m’a rendue triste.


philippe lautrey