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De nouveau il la saisit, lui brûlant les lèvres de ses baisers. Elle demeurait inerte et comme étrangère.

Il dit :

— Louise, je t’ai retrouvée, je t’aime, je le veux. (Sa voix était rauque.) Il ne faut pas que tu retournes à une liaison indigne de toi. Dès ce soir, j’aurai un coin où te cacher.

« Voilà — pensa-t-elle — ce qu’il me propose !… »

Sur la table, à côté du faune dansant, un portrait se dressait dans un cadre doré. Cette femme posée là, parmi les objets intimes, c’était le fantôme de Villeneuve, celle qui lui avait volé son bonheur. Fine et frêle, elle avait l’air de fixer sur Louise son regard aigu, inquiet, profond. Et ce fut sous ce regard que Louise répondit :

— Après ce qui a été, rien n’est plus possible entre nous. Ce serait manquer à ce qui me reste de plus précieux au monde, à l’amour que j’ai eu pour vous… J’étais à vous absolument ; l’idée que vous pourriez me quitter, je ne l’avais plus. J’aurais voulu vieillir, afin de descendre la vie avec vous, côte à côte. Vous êtes parti, et ce que vous m’offrez maintenant est d’une cruauté vraiment dérisoire après ce que vous m’aviez accordé. Je venais chez vous librement, fièrement, et voici que vous me demandez d’être à vous dans l’ombre, comme une coupable.

Il la suivait des yeux, moins troublé par ce qu’elle disait que par elle-même, regardant les lignes charmantes de son corps qui frémissait, pendant qu’elle prononçait ces paroles désolées.

Elle continua :

— Vous jugez que j’ai formé des liens méprisables : c’est votre droit, et vous êtes en ceci de l’avis commun. Mais je ne me méprise pas moi-même, c’est l’essentiel. Je n’ai aucune bassesse, et je suis sûre que vous le savez bien. Aux heures les plus misérables que j’ai traversées, le comte Kowieski m’a offert un asile. Il a été très bon pour moi ; je ne puis l’oublier. Que l’on me croie cupide et vile, soucieuse seulement de briller par mon luxe, peu m’importe… D’ailleurs, rien n’importe, et le sort de Louise Kérouall est insignifiant auprès du tumulte de l’univers. À mesure que nous parlons, les minutes s’écoulent, se perdent dans l’écoulement de tout…