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Rue d’Offémont, dès le seuil, une déception cruelle l’attendait. Cette maison si connue, elle la reconnaissait à peine : sur l’emplacement du jardin, une aile avait été bâtie pour madame Lenoël, le docteur s’étant refusé à demeurer dans une des maisons qui appartenaient à sa femme.

De ce pauvre jardin où, si souvent, dans les nuits chaudes d’été, ils s’attardaient, de ce bosquet tant aimé que les oiseaux remplissaient de chants, rien n’existait plus. Il sembla à Louise que la cognée meurtrière qui avait abattu ces arbres la frappait elle-même. Elle franchit la porte. Le vestibule, par ce temps ensoleillé, lui parut plus froid et plus obscur qu’autrefois. Elle tâta le mur, pour être certaine qu’elle ne rêvait pas.

— Dans le salon, elle se dissimula de façon à n’être pas remarquée par lui avant son tour d’être admise. Et, fermant les yeux, elle n’entendit plus que les coups de son cœur dans sa poitrine, si courts et si pressés qu’elle en perdait le souffle.

Une heure, deux peut-être, s’étaient écoulées, quand le battant s’ouvrit de nouveau ; c’était à elle d’entrer.

En l’apercevant, Lenoël eut un cri aussitôt étouffé ; la portière retomba. Alors, de stupeur, d’émoi, ils se tinrent quelques secondes en face l’un de l’autre. Puis il la prit, l’enveloppa de ses bras, la serra d’une étreinte où palpitaient tous ses poignants regrets, tous ses vains désirs.

— Louise, — dit-il enfin, — pourquoi ce départ insensé ? Tu savais bien que je devais revenir.

Levant les yeux vers lui, elle le vit changé. Des traces de lassitude se montraient sur ce visage, jadis si calme, si beau. Et son regard même n’avait plus cet éclat paisible, cette sérénité pleine de force où elle-même puisait autrefois la confiance et la joie. Alors, songeant au jardin rasé, elle se dit : « Tout est détruit, saccagé… »

Assis contre elle, il la caressait, comme il faisait quand il était, pour elle, tout l’univers. Elle songeait : « Que peut-il, à présent ? »

Au milieu de toutes ces choses, qui si longtemps lui avaient été familières, elle se sentait plus loin de lui que naguère, en Russie, lorsqu’elle évoquait son image. Une tristesse mortelle lui venait.