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Pendant près de quatre semaines, Louise et le comte Kowieski séjournèrent à l’ombre des palmiers. À peine les voyait-on, mais, tout de même, les curiosités grouillaient autour d’eux. Après s’en être beaucoup tourmentée, Louise se résolut à ignorer tout, à traverser le monde comme s’il n’était pas, ou comme s’il n’était qu’un bocal peuplé de poissons rouges.

Un soir qu’elle rentrait d’une promenade en voiture, on lui présenta une dépêche. Durant ses voyages, elle avait toujours soin d’indiquer des étapes, pour que des nouvelles de sa famille pussent facilement lui parvenir. D’ailleurs, tous ses déplacements n’étaient pas pour surprendre, dans une région où le tiers de la population voyage commercialement.

Ayant déchiré le pli bleu, Louise lut :

Père gravement malade, viens. — marie kérouall.

Un nuage passa devant ses yeux, lui cacha les palmiers, la mer, tout l’horizon : elle ne vit plus que la modeste chambre, où là-bas, au bord de l’eau, son père se mourait.

Elle se mit en route la nuit même, laissant le comte désolé, malgré la promesse qu’elle lui fit de le rejoindre dès qu’elle le pourrait. Il n’eut pas le courage de l’accompagner, à la gare, et ce fut Smith qui remit à Louise, avec son billet, un portefeuille :

— Le comte désire que vous ayez de quoi être utile à votre famille, si c’est nécessaire.

Après vingt heures de route, Louise atteignit Port-Saint-Pierre. Du pont, en passant la rivière, la maisonnette lui apparut toute riante et fleurie, sous le ciel printanier. Un instant, elle en conçut un espoir meilleur ; mais, quand elle sonna à la porte, elle pensa que les forces lui manqueraient.

Ce fut sa mère qui vint ouvrir. Elle pleurait. Et toutes deux, sans rien se dire, s’embrassèrent, mêlèrent leurs larmes.

Louise monta l’escalier étroit, où jadis ses pieds d’enfant avaient trébuché. Elle entendait le tic tac de l’horloge de bois dans la cuisine et l’illusion lui vint qu’elle était retournée à ses jeunes années.

Dans son lit de noyer, aux rideaux de toile peinte, les yeux grands ouverts, hébété, hagard, Louise vit son père qui agonisait.