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qu’elle goûterait peut-être, dans cette retraite, des jours tranquilles.

À peine arrivés, ils eurent la visite du prince Daltroff.

— Eh bien, — dit-il, dès qu’il eut pris place sous la véranda où le déjeuner était servi, — vous pouvez vous vanter, madame, d’avoir soulevé derrière vous une belle traînée de poussière. Monte-Carlo en a plein les yeux et en reste ébloui. Ce que j’ai subi, à cause de vous, de questions et même d’interviews n’est pas croyable !… Tous les reporters des feuilles mondaines du littoral sont venus avec des crayons et des calepins. Et je leur en ai fourni pour leur peine. J’ai conté que vous descendiez de lady Ellenborough et d’un khan de Tartarie : de là votre remarquable distinction et votre type anglais. J’ai dit aussi que vous possédiez dans l’Asie centrale d’immenses domaines peuplés de nègres blancs… Ils ont été ravis.

— Mon Dieu ! — fit Louise, agacée, — comme je souhaiterais qu’on me laissât tranquille !

— Cela, — riposta Daltroff, — c’est impossible… Shakespeare a dit que la vie est semblable aux planches d’un théâtre. Quelques-uns y ont de beaux rôles ; les autres, la foule, les admirent, et madame de Kérouall sera toujours admirée… Ici, pourtant, vous serez plus tranquille. Cannes est un endroit très select, où de petites chapelles voisinent aristocratiquement. Un lien les unit, un lien sonore comme une corde de harpe : c’est leur culte pour le poète mystique et symbolique Pierre Gardanne… Je l’ai connu autrefois, quand il donnait des répétitions à quelques-uns de mes camarades. Il était pauvre alors, cynique et mal nippé. Aujourd’hui, il habite près de chez vous un délicieux cottage, et quand, le monocle à l’œil, le gardénia à la boutonnière, il récite avec une fatuité suprême les litanies de la Vierge, arrangées en vers blancs, on voit se pâmer les grandes dames. On dirait qu’il est familier de la Reine des Cieux et que c’est par délicatesse pure qu’il s’abstient de compromettre tout à fait cette dame céleste… Si cela vous amuse, je vous le présenterai.

Louise et le comte répondirent que, pour le moment, ils ne voulaient fréquenter personne.

Quand le prince Daltroff les quitta, ce soir-là, il fut convenu que l’on se retrouverait à Paris, vers le début de mai…