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n’avait plus sa parfaite aisance, mais il s’est vite remis et m’a dit : « Vous n’ignorez pas, madame, l’affection profonde que je porte à votre nièce ; je viens vous supplier de me dire où elle est. »

Je lui ai dit qu’après son départ tu avais été en butte à tant et à de si cruelles épreuves que tu t’étais décidée à quitter Paris, en me défendant de faire connaître le lieu de ta retraite. Il a violemment insisté, m’assurant que cette précaution ne pouvait s’appliquer à lui, et que j’agissais avec une cruauté qu’il ne méritait pas. Il m’a demandé enfin si je voudrais bien te faire parvenir une lettre de lui. J’ai dit que je me conformerais à ta décision, et je dois la lui transmettre. Il est parti en me laissant voir son dépit amer. Je crois bien qu’il t’aime toujours. Depuis, j’ai su qu’il avait ramené madame Darsier, encore dolente, mais sauvée pour l’instant. Il paraît qu’il va l’épouser. Dans ces conditions, ma pauvre enfant, tu feras bien de ne plus songer à lui, et je lui répondrai en conséquence, si tel est ton avis…

— Tenant entre les doigts la feuille de papier qui lui apportait ces lointaines nouvelles, Louise resta longtemps accablée. L’air brûlait comme des flammes, semblait sa propre douleur qui la consumait. Elle se dit : « Il se marie. Alors, que me veut-il ? Et si je suis ici, c’est surtout par sa faute : qu’il m’y laisse donc en paix !… » Et, du fond de sa détresse, quelque ressentiment lui vint, qui lui redonna un peu de force.

Comme elle n’était pas descendue de toute la journée, le comte, vers le soir, se rendit auprès d’elle dans sa chambre.

Il la vit pâle et brisée et il s’en inquiéta :

— Cette chaleur est écrasante, — dit-il, — et puis toutes ces lectures vous auront fatiguée. Il faudra recommencer nos promenades à cheval, qui vous faisaient du bien. Si la chaleur continue, nous sortirons de grand matin.

Après un silence, il reprit :

— C’est peut-être d’ennui et d’isolement que vous êtes malade : vous regrettez Paris, et tous les amis et les amusements que vous y aviez. Patientez un peu : dans deux ou trois mois, nous voyagerons. Je vous conduirai dans de beaux pays. Mon yacht est mouillé à Odessa ; c’est un bateau magnifique, on y est très heureux : on oublie tout, quand on n’aperçoit plus que le ciel et l’eau… D’ici là, nous aurons quelques visiteurs ; entre autres, un cousin à moi, un garçon charmant, qui est attaché à notre ambassade chez vous.