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coteaux d’Ouratinsk, ils s’en revinrent plus lentement. Autour d’eux les brises volaient caressantes, parfumées. Dans la forêt, un rossignol jetait ses trilles d’une voix si éclatante qu’ils s’arrêtèrent pour écouter.

Ils pénétrèrent dans la cour d’honneur, firent halte devant le perron, et, lorsque Louise se laissa glisser à bas du cheval, ce fut le comte Kowieski qui la reçut dans ses bras.

Le visage animé, l’œil brillant, il n’était plus le même, et, tandis qu’il la tenait contre lui, elle s’aperçut qu’il tremblait.

Elle alla à sa chambre, et, quittant l’amazone, posa sur ses épaules un peignoir flottant. Le jour déclinait ; sur le parc et les bois, descendaient les voiles blancs du crépuscule ; enfin la nuit, ainsi qu’une berceuse, se pencha sur le monde endormi.

Tout à coup, dans la pièce presque obscure, sans qu’elle l’eût entendu ou vu entrer, le comte se trouva tout près d’elle. Il tâchait de la saisir, et ses bras étendus étaient comme les ailes éployées d’un grand oiseau nocturne.

Elle eut peur, poussa un faible cri. Mais la frayeur, la pitié, la lassitude et le dégoût d’elle-même lui ôtaient toute force. Elle lutta à peine. Des soupirs s’achevèrent en un sanglot et ce fut tout…

Comme elle restait anéantie sur la chaise longue, un bruit la fit tressaillir : c’était une chauve-souris qui battait les murs de son aile lourde.

Elle fit prier le comte de l’excuser si elle ne descendait pas dîner avec lui, la promenade à cheval l’ayant brisée. Les heures de nuit sonnèrent tour à tour à la petite pendule ancienne. Blottie dans son lit, Louise ne dormait pas, et, se rappelant ces jours si proches où l’amour était pour elle l’abandon délicieux et consenti, longtemps, amèrement, désespérément, elle pleura.

Vers le matin, elle glissa dans un sommeil plein de rêves. Elle fuyait à travers une forêt toute noyée d’ombre. Un grand oiseau la poursuivait. Haletante, éperdue, elle arriva devant une grille. L’ayant ouverte, elle se trouva au milieu d’une allée dont les arbres étaient garnis de feuilles jaunes et elle reconnut Villeneuve-Saint-Georges. Lenoël venait à sa rencontre, mais, au moment où il allait la joindre, une femme vêtue d’un linceul se dressa et, lui saisissant la main, l’entraîna