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XXXI


Louise était arrivée depuis près d’une semaine, et le comte Kowieski la traitait avec une grâce courtoise et attendrie. Il avait secoué un peu son apathie, ne demeurait plus des journées entières à fumer, dans la pénombre, des cigarettes mélangées d’opium. Et vraiment quelque joie était entrée avec elle dans ce château où elle passait claire et blonde et toute semblable aux déesses tissées sur les tapisseries. Car, ainsi que l’observait jadis Jacques Lenoël, sa beauté était allégorique.

Le comte l’avait promenée dans les salons sans nombre, lui faisant remarquer surtout les objets de provenance française ; puis ils s’étaient attardés dans la longue galerie consacrée aux portraits de famille. C’étaient d’abord les premiers comtes lithuaniens, farouches sous leurs armures ; ensuite, à partir du xviie siècle, les courtisans, les ministres, les ambassadeurs, vêtus somptueusement à l’imitation de la cour de Louis XIV. Des comtesses aux types russes, polonais ou allemands, avaient été peintes un peu hâtivement par des artistes venus d’Italie. Les comtes du xviie siècle portaient la poudre et l’habit brodé ; parmi eux, ce Stanislas Kowieski, grand capitaine, qui battit les armées russes, et, plus loin, le comte Jean, qui, ne résistant pas aux avances de l’impératrice Catherine, fut traître à sa patrie. Une comtesse Kowieska, très belle, avait, au commencement du xixe siècle, posé devant Madame Vigée-Lebrun. Enfin le comte s’arrêta, et, désignant deux portraits par Angely, le peintre viennois :

— Voici mon père et ma mère.

— Sont-ils morts tous deux ? — interrogea Louise.

— Non : ma mère vit encore. Elle avait divorcé et s’était remariée avec le prince Giustiniani. Elle habite Naples. Nous ne nous voyons plus.

Sans doute, cette dame aussi avait eu la nostalgie du soleil et s’était enfuie.

Après le parc, aux nobles avenues, aux massifs s’allongeant comme des tapis fleuris, ils avaient visité l’orangerie et les écuries, superbe construction où chaque stalle s’ornait d’une