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Depuis lors, nul être ne m’a jamais témoigné quelque sollicitude, excepté Smith, mon secrétaire.

Louise écoutait cette voix lasse exhalant sa plainte au milieu de la profusion des richesses, de tout l’appareil de l’immense fortune. Ensuite le comte tisonna nerveusement. Tout à coup, se levant, il marcha jusqu’au fond du salon, puis revint :

— Et vous n’ignorez pas, personne n’ignore comment j’ai été quitté.

— Moi aussi, je l’ai été ! — fit Louise tristement.

— Vous ! — dit-il, surpris, — vous !… D’ailleurs, que vous importe ? Vous aurez à vos pieds ceux que vous voudrez… Mais laissons ces sujets, ou bien, dès le premier soir, je vais vous ennuyer tellement que vous voudrez partir… Dites-moi, savez-vous jouer aux échecs ?

Elle ne savait pas. Tout de suite il voulut lui donner une leçon. Il prépara lui-même la table et l’échiquier, disposa les pièces, et se mit à lui expliquer les règles du jeu. Elle suivait, attentive, comprenant vite. Lui soudain s’était animé. Penché sur le damier, il réglait avec soin la place des combattants. Cet homme, que toute action effrayait, se complaisait à la lutte idéale de ces figures d’ivoire, et les combinaisons mathématiques de l’échiquier lui valaient des plaisirs abstraits, où toute son ardeur était intéressée, où se dérivait un instant son inguérissable mélancolie.

— Aujourd’hui, — dit-il, — ce sont des semblants de jeux, comme les manœuvres qu’on fait faire aux soldats pour les instruire. Mais, si vous m’écoutez, vous deviendrez une grande joueuse d’échecs.

En des simulacres de parties elle gagnait et perdait tour à tour. Vers onze heures, il eut pitié d’elle, lui dit qu’elle ferait bien de se retirer. Près de la porte, il lui baisa la main.

— Merci encore, — dit-il, — merci d’être venue. Depuis que vous êtes là, il me semble que l’air est rempli de fleurs, de parfums, de musique… Ne repartez pas tout de suite !

Précédée de deux laquais tenant des flambeaux, Louise gravit l’escalier où, sur la rampe, se dispersait une bande d’amours.