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du comte les a achetés en France durant la grande Révolution. Des tapissiers viendront de Komenetz et tout sera prêt bientôt.

El il la quitta en disant que le comte rentrerait vers huit heures et qu’on dînerait un peu tard, en demi-toilette.

Depuis qu’elle voyageait, tant de paysages, tant de villes avaient fui sous son regard lassé, que Louise se croyait toujours emportée dans l’espace. À Vienne, elle s’était arrêtée un jour pour choisir la femme de chambre qu’elle n’avait pas voulu emmener de Paris, et elle avait engagé Magda, cette jolie brune aux épais cheveux frisés dont, en cet instant, s’agitait la vague silhouette, inconsistante comme le reste. Seule Fairy gardait sa réalité, parmi toutes ces apparences. Inquiète, désemparée, la petite chienne tendait le nez vers les senteurs inconnues, appliquant et haussant sa sagesse à cette nouvelle et démesurée conception de l’univers qui lui était révélée.

Louise la prit sur ses genoux et lui parla. Maintenant, d’ailleurs, à qui aurait-elle parlé ?

— Nous sommes aux confins de la terre, — lui dit-elle, — je ne sais plus bien pourquoi, et voici que toutes les deux nous avons très peur. Qu’en penses-tu, ma pauvre Fairy ?

Fairy eut un grognement léger qui semblait un blâme, puis, abaissant la tête entre ses pattes, elle s’endormit. Et Louise, à travers la fatigue qui lui faisait si incertains les contours des choses, continua de réfléchir.

Oui, pourquoi était-elle venue ? Car, de tout ce qui l’avait tant fait souffrir, rien ne se montrait plus à elle distinctement. Dans le crépuscule qui descendait, le passé, le présent se diluaient. Une forme cependant, confuse comme les autres, se levait et venait à elle : c’était le comte Kowieski. Qu’était-il, cet homme qu’elle avait entrevu à peine, dans une avenue que dorait le soleil couchant ? Elle se le rappelait long et frêle, avec des moustaches d’un blond si pâle qu’elles semblaient blanches. Il n’avait pas l’air méchant, mais si étrange et spectral qu’il l’effrayait.

Tandis que le froid peu à peu se glissait ou elle, la chaleur de sa petite chienne lui était douce.

Une voix rompit le silence :

— J’ai déballé toutes les robes, — disait la femme de chambre. — Madame choisira celle qu’elle veut mettre.