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se sentait maintenant en butte au mépris, et cette pensée l’accablait, s’ajoutait à l’autre douleur, plus âpre et poignante, qui déjà lui paraissait insupportable.

Le soir, elle se résolut à sortir. Elle s’en irait par les quartiers populeux jusqu’aux berges où la Seine traverse de lointains faubourgs. Le miroir familier de l’eau, en qui depuis sa petite enfance elle regardait se pencher et trembler la forme des choses, elle s’y pencherait à son tour. Et alors elle verrait. Cette rivière toute claire et luisante, pleine de reflets bleus et de nuages blancs épars comme des vols de colombes, elle y glisserait volontiers avec le fardeau de sa misère.

Par des rues que ne fréquentent pas les équipages, elle atteignit le quai de Passy, et suivit le pavé qui borde le fleuve. L’eau filait rapide, accrue par les pluies d’avril, et la force du courant fatiguait les péniches amarrées à la rive. Au-dessus des pyramides de pierres et de sable, des piles de bois, des sacs de charbon, les grues avançaient leurs becs de fer. Et cet endroit voué aux durs labeurs gardait sous l’éclat riant de la saison un aspect farouche.

Louise eut un frisson d’horreur… Non, jamais elle n’entrerait dans ces flots souillés et grondants. Elle se figura son corps battant les pontons, heurté au passage par les bateaux-mouches, repêché par les mariniers, et venant échouer tout sanglant sur la berge, près des marchandises déchargées.

D’épouvante, elle s’enfuit.

Elle courut jusqu’à la montée du Trocadéro, se laissa tomber sur un banc, parmi les allées en labyrinthe qui s’emmêlent sur la colline.

Et elle songea à ce qu’elle allait devenir. Le courage de mourir et le courage de vivre lui manquaient également.

Une femme prit place à côté d’elle. Sordidement vêtue, elle avait un aspect de lassitude, un visage ravagé. Derrière elle, les grandes statues dorées, de style Louis XIV, couchées autour d’un bassin de marbre, lui faisaient un fond de splendeur.

Louise l’observait, surprise, émue, envieuse presque de voir un être porter si simplement sa détresse. Et de rester si inconsciente de son abjection, de ne pas savoir qu’elle faisait sous la belle lumière une tache sinistre, Louise l’admirait : « De