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et ne répondait à rien qu’à l’idée de faire sentir là-bas que désormais elle se dérobait, devenait insaisissable et mystérieuse. Elle ne prévoyait guère que ces paroles prononcées au hasard auraient un pouvoir singulier de prophétie et d’incantation…

Chez elle, quand elle rentra, Louis Robert l’attendait. Il lui rendait visite une ou deux fois la semaine et gardait toujours tant de mesure et de discrétion que, malgré ce qu’il y avait entre eux de délicat, il ne la choquait jamais. Sa passion, qu’il s’efforçait de cacher, s’adoucissait, se trempait de tendresse.

Louise était vivement touchée, mais c’était tout. À côté de l’incomparable charme de Jacques Lenoël, trop souvent les façons de Louis Robert lui avaient paru primitives et sans grâce.

Ce soir-là, il venait annoncer qu’il s’en allait pour quelques jours. Sa mère le demandait, « s’ennuyait après lui ». Il serait de retour au commencement de mai.

Ils parlèrent de l’absent, comme ils faisaient toujours, puisque aussi bien il était le grand lien qui les unissait. Louise ne montrait pas toute sa souffrance et avidement elle questionnait. Robert aussi recevait des nouvelles de Madère : le docteur avait trouvé madame Darsier dans le plus triste état ; minée de consomption, elle traversait en outre une crise aiguë, luttait contre une pleurésie infectieuse.

De cette Germaine Duchastellier jadis éblouissante de fraîcheur et de santé, il ne subsistait plus qu’une pauvre créature hâve, défaite, héritière lamentable des richesses et des tares physiques de son mari, traînant comme une malédiction le châtiment de ce mariage accompli dans les plus bas calculs de l’avarice.

Auprès de cette femme à laquelle il avait passionnément été attaché, Lenoël restait abîmé de douleur et de pitié. Toutefois Robert n’en doutait pas : il irait jusqu’au bout, ne déserterait pas, serait la proie de cette mourante qui avait déjà tant pesé sur sa vie.

— Je serai absent une semaine au plus, — ajouta-t-il. — Le docteur Lenoël m’a confié une partie de sa clientèle et mon voyage est très inopportun. Mais les souhaits des personnes âgées ont quelque chose de sacré : on se dit que ce sont peut--