Page:Revue de Paris, 1908, tome 3.djvu/132

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’autre qu’il était retourné à elle, et cette pensée fut à Louise la plus intolérable de toutes.

À quoi se résoudrait-elle ? Elle ne le savait pas encore. Une ressource restait toujours, et, en attendant, elle tâcherait de ne pas donner le spectacle de l’abattement et du désespoir. Elle se prépara à se rendre chez Silveira.

Le peintre, en la voyant, poussa des cris de joie, eut sa mimique habituelle. Dans son costume de satin noir, il se découpait sur le jour comme une ombre chinoise élégante et absurde.

Il s’approcha d’elle, et, d’une voix faussement émue :

— Pauvre petite ! — dit-il ; — on a eu du chagrin, beaucoup de chagrin ! Mais il ne faut plus. Jolie comme cela, les amis ne manquent pas,

Louise, indignée, voulut répondre ; puis, craignant d’en trop dire, elle feignit de ne pas comprendre.

À sa grande surprise, elle s’aperçut que Silveira recommençait à travailler au portrait. Il y ajoutait des effets de lumière, des reflets, qu’il obtenait au moyen de jeux de rideaux. Après s’y être occupé près de deux heures, il dit :

— Maintenant, vous allez être Venise, je vais vous mettre le manteau et la couronne.

Et il l’attira vers le profond divan que surmontait un dais de soie rose. Alors, faisant le geste de lui attacher le manteau, il lui enlaça la taille, et, de son autre main, essaya de la renverser parmi les coussins. Elle, frémissante, pleine de force, se redressa. Essayant de la ressaisir, il dit :

— Petite chérie, ne te fâche pas : je serai, moi aussi, un ami très gentil, aussi gentil que l’autre.

Elle lui échappa encore, et, passant derrière un chevalet, le fit glisser : une énorme palette, qui s’y trouvait accrochée, vint s’étaler contre Silveira ; sur son costume de satin noir s’écrasèrent les vermillons, les bleus, les chromes et les cinabres, toute la gamme éclatante et chantante d’un coloriste. Et ainsi il ressemblait à quelque pitoyable arlequin, au lendemain du mardi gras.

Au milieu du désarroi, Louise prit son chapeau pour s’enfuir. Arrivée à la porte, elle vit que le verrou avait été tiré : elle le repoussa. À ce moment, un grand coup de sonnette retentit,