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ensuite, à cause d’une colère sourde, qui, glissée en elle, l’empêchait de succomber à l’accablement.

Depuis cette nuit où, dans une inconscience traversée de lueurs déchirantes, elle avait senti autour d’elle la protection et le dévouement silencieux et passionnés de Louis Robert, il était venu la voir plusieurs fois. Et elle, feignant un calme qu’elle n’éprouvait pas, lui avait arraché peu à peu les détails de ce drame d’amour qu’elle connaissait mal. Elle voulait savoir quels droits avait eus cette disparue de se lever ainsi, et de venir, toute-puissante, lui prendre son ami presque dans ses bras.

Et ce qu’elle apprit ne lui apporta aucun apaisement. Car, depuis près de douze ans qu’elle avait rompu avec Jacques Lenoël, en sachant qu’elle brisait sa vie, cette femme, loin de celui qu’elle avait aimé, se consacrait à d’autres soins, à des devoirs qu’elle jugeait impérieux ; et maintenant elle l’appelait, se disait mourante. Louise ne croyait pas à cette mort si proche : pour mourir cette malade n’aurait pas eu besoin de lui, et c’était pour vivre qu’elle le demandait si éperdument.

De Lisbonne, avant de s’embarquer, Lenoël avait écrit à Louise une lettre toute palpitante d’inquiétude, de tendresse, de regrets. Mais quoi ! il la quittait.

Le soir de son départ, alors qu’il la tenait défaillante entre ses bras, il n’avait pas dit un mot pour la rassurer, ne lui avait laissé aucun espoir, se gardant de promettre qu’après avoir volé au chevet de cette amie ancienne il reviendrait à elle, l’amie des jours présents. Non, il s’en était allé pour jamais la sacrifiant, la confiant à Robert, comptant qu’il la consolerait, l’épouserait peut-être.

Elle songea : « Il voudrait qu’aucun remords, aucune tristesse ne gâtât le bonheur qu’il a retrouvé. »

Puis elle se souvint de ce qu’un jour lui avait dit sa tante :

— Tu n’es qu’une petite demoiselle de modes, tu ne peux pas lutter avec les femmes de son monde, qui sont de plain-pied avec lui.

Et cependant personne moins que lui n’avait le préjugé du rang social, et jadis en Allemagne il n’hésitait pas à la présenter à une princesse, à un commandant de corps d’armée.

Ce n’était donc pas pour cela, c’est parce qu’il préférait